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L'image du moi(s)
Chaque mois, petit billet d'humeur et d'humour à partir d'images conservées aux Archives. Forcément décalé !
Je n’irai pas jusqu’à dire, comme un chanteur à bandana des années 80, que le père Noël est « un pauv’ mec », mais il faut bien constater que l’homme a suscité force désillusions. L’honnêteté m’oblige néanmoins à préciser que ces déceptions ont souvent pour origine non pas ledit père mais plutôt sa non-existence. Pour nombre de personnes, cette révélation a sonné le glas d’une enfance insouciante. Pour ma part, la magie s’est envolée lorsque la question rituelle « Quels cadeaux vais-je avoir ? » s’est transformée en « Quels cadeaux vais-je devoir faire ? ».
Il ne s’agit pas tant de devoir débourser quelques deniers - même si pour certains le geste est douloureux - que d’une préoccupation lancinante qui s’immisce dans nos crânes dès octobre. Houspillés que nous sommes par nos chères têtes blondes, manipulés par les publicités et l’achalandage des commerces, nous vivons une véritable charge mentale « noëlienne ». C’est presque aussi déprimant qu’un rayon de fournitures scolaires en plein été ou que le prix Goncourt systématiquement offert à mon oncle, sans distinction d’auteur ou de sujet, pour les fêtes.
Fin lettré, il ne l’est peut-être pas, mais fin gourmet assurément et jusqu’au bout des papilles, appréciant la bonne chère et les vins raffinés, sans vraiment de modération. Il faut dire que sa carcasse, haute et large, lui permet d’avoir un abattage hors-norme. D’aucuns se sont essayés à le suivre dans ses odyssées gastronomiques, peu ont tenu jusqu’au bout du voyage. Il serait prêt, tel un dom Balaguère moderne, à se damner pour une douzaine de claires d’Oléron. J’ai encore le souvenir de l’avoir vu, les mains ensanglantées - stigmates d’une épique séance d’ouverture - déguster des huitres dans l’extase le plus complet, comme s’il buvait un élixir dans le calice du Saint Graal.
Le 25 novembre 1582, le parlement de Toulouse publiait la réforme du calendrier julien qui allait prendre le nom du pape de l’époque, Grégoire XIII, et devenir ainsi grégorien. Notons au passage que ce pontife, qui aimait la bonne compagnie, eut un fils – ce n’était pas choquant en ces temps – qui ne s’est pas appelé Ugo XIII mais bien Ugo Boncompagni.
Par ailleurs, novembre conserve étymologiquement la trace d’un calendrier antérieur, dit romain, où il était le neuvième mois d’une année qui en comptait dix, et accessoirement 304 jours. On le retrouve fréquemment, dans les textes anciens sous l’abréviation 9bre avec ses demi-frères latino-numériques : 7bre, 8bre et Xbre.
Novembre se déploie donc sous le signe du chiffre 9 qui, si l’on en croit les exégètes en numérologie, annonce la fin d’un cycle et le commencement d’un nouveau. Pour le coup lesdits experts ne se sont pas trop fatigués à l’instar des parents qui nommaient leurs enfants dans les temps reculés. Pourquoi s’embêter à leur chercher un prénom alors qu’il suffisait seulement de les numéroter ? Ainsi ont fleuri les Tertius, Septimus et autres Decimus ; plus proche de nous on trouve encore de nombreux Quentin et Octave.
Bien que l’on en trouve moins, il existe des Nono célèbres. Certains ont marqué notre mémoire enfantine, tel le petit robot de la série Ulysse 31 dont la voix machinique résonnait dans les cours de récréation du début des années 1980. D’autres ont marqué l’histoire, tel le très traditionnaliste pape Pie IX, alias Pio Nono, dont le nom est associé à la proclamation des dogmes de l’infaillibilité pontificale et de l’Immaculée Conception, mais aussi - et c’est plus étonnant - à une pâtisserie, le pionono, très populaire en Espagne et en Amérique du Sud.
Le 12 octobre 1492, Christophe Colomb débarquait sur l’île de Guanahani, qu’il s’empressa de baptiser San Salvador, dans l’archipel des Bahamas. Cet événement, célébré dans plusieurs pays sur des registres allant de la glorification à la franche condamnation, fut l’occasion d’un triple malentendu.
Tout d’abord, il est aujourd’hui prouvé que des Européens, des Vikings pour ne pas les nommer, avaient déjà « découvert » l’Amérique, depuis le Groenland, cinq siècles plus tôt. Ensuite, il est de notoriété commune que le navigateur génois pensait avoir découvert une nouvelle voie maritime vers les Indes et qu’il nomma ainsi, de façon totalement erronée, les natifs de cette contrée « Indiens ». Ça me rappelle un jour où j’ai voulu prendre un raccourci pour aller en Espagne, et où je me suis retrouvé dans un village roumain : je pensais avoir trouvé une nouvelle route pour traverser l’Europe, mais en fait j’étais juste en Ariège.
Mais revenons à notre explorateur, dont le prénom dérive du grec ancien Khristophoros qui signifie littéralement « qui porte le Christ », et qui le portait tellement en lui-même, sa psyché étant toute imprégnée des textes bibliques, qu’il crût voir, dans la jungle luxuriante et les natifs en tenue d’Adam, le véritable jardin d’Eden que d’aucuns situaient encore sur Terre. Il participa ainsi à la création du mythe du « bon sauvage », celui d’une humanité pure, vierge de tous péchés, qui enflamma les imaginations et fit couler beaucoup d’encre.
Il déchanta assez rapidement en constatant que lesdits indigènes n’étaient finalement ni meilleurs ni pires que ses contemporains d’Europe, et qu’on pouvait, comme ces derniers, les massacrer, voire plus encore. Pourtant, l’idée d’un homme naturellement bon a fait florès dans la littérature et la philosophie occidentale, de Montaigne à Rousseau, en passant par Diderot, jusqu’aux auteurs les plus actuels. Il faut croire que ces beaux esprits n’ont pas dû croiser la route de Monsieur F…, instituteur, dont les légendaires décollages d’oreille et matraquages à coup de règle instillaient de sévères doutes sur l’innée gentillesse du genre humain dans l’esprit de ses jeunes élèves.
La première scène de ce dernier opus se déroule dans une classe du quartier de Bab-el-Oued où un instituteur essaie désespérément de faire réciter Le Cid à des élèves très dissipés. C’est d’ailleurs l’un deux qui prend la parole, avec force accent et expressions imagées, pour narrer la version « piednoirdisée » de la pièce de Corneille qui est la trame du film. Je ne sais pas si les enfants, qui rentrent à l’école en ce début de mois, apprennent toujours des textes par cœur, mais une chose est sûre : j’ai quasiment oublié toutes les poésies étudiées dans le cadre scolaire ; en revanche, je me souviens parfaitement des paroles des chansons populaires de mes jeunes années, voire celles des slogans publicitaires de l’époque. On peut trouver cela amusant… ou affligeant.
Cette différence d’appréciation me rappelle une conversation avec un ami. Il me racontait qu’étant jeune, à l’approche du mois de septembre, il faisait toujours le même cauchemar. Sa mère l’amenait à l’école pour la rentrée et il s’apercevait progressivement qu’il n’y avait personne dans le bâtiment, ni professeurs, ni élèves. Il arpentait désespérément les couloirs vides, dans une angoisse que seul son réveil finissait par interrompre. De mon côté, trouver les lieux déserts le jour du grand retour en classe faisait figure de doux rêve. Pensez-vous ! Avant même d’avoir commencée, l’école était finie ! Mais oui, mais oui.
Dans ce conflit, la mémoire – sélective – est aussi mobilisée pour justifier les actes des belligérants. On a, par exemple, beaucoup entendu parler de dénazification. A cette occasion, il est intéressant de noter qu’en ce mois, nous célébrons l’anniversaire du pacte germano-soviétique, signé le 23 août 1939, entre l’Allemagne nazie et la Russie stalinienne. Outre l’accord de non-agression, les deux puissances s’y partageaient une large partie de l’Europe de l’Est. Il faut croire que d’aucuns voudraient l’oublier.
Là où certains pratiquent l’amnésie, j’aime pour ma part à me souvenir. Notamment, en cette période estivale, de vacances passées dans une maison perdue au milieu des vignes où l’électricité n’avait pas encore fait des étincelles. Les soirées passées à la lumière du feu ou du camping-gaz ont indélébilement marqué ma mémoire ainsi que celle d’amis anglais trouvant cela fort exotique. Quand la fée électrique a finalement atteint cet îlot d’un autre âge, nous avons gagné en confort ce que nous avons perdu en magie...
Les mois d’été, et accessoirement de vacances, sont une mine de souvenirs. Quelle meilleure période pour découvrir de nouveaux lieux, de nouvelles personnes, retrouver des amis, de la famille, se disputer, passer des nuits homériques, prendre des risques inconsidérés, réaliser des exploits… Bref, ressentir des émotions qui nous accompagneront le reste de notre existence.
A Toulouse, nous avons la chance d’avoir à proximité nombre de terrains de jeu propices aux aventures estivales. D’un côté, le littoral atlantique basco-landais, et, de l’autre, les rivages de la méditerranée catalano-languedocienne ; au nord le Massif Central, au sud les Pyrénées, et entre cela des campagnes où il fait bon boire et manger. Que demander de plus ?
Pour ma part, j’ai des souvenirs émus de randonnées d’été en montagne. Le goût des fruits secs que l’on grignote en montant, les dizaines de sauterelles et autres insectes qui s’envolent à chaque pas que vous faites dans l’herbe en altitude et qui viennent frôler vos mollets, le sifflement des marmottes, la silhouette d’un isard sautillant sur une paroi à pic, un repas partagé, à base de chorizo fumé de la région de Vigo, avec des alpinistes espagnols et bien sûr les premiers buissons de myrtilles. Lorsqu’on me pose la question, je ne me souviens quasiment jamais du but de ces pérégrinations, mais seulement de leurs péripéties, confirmant ainsi l’adage "stevensonien" : « L’important, ce n’est pas la destination, c’est le voyage ».