Si l'idée de coups et de bagarre est bien souvent associée aux bars, aux cabarets et autres tripots où l'alcool coule à flot, il est d'autres lieux qui n'ont pas à rougir et peuvent faire bonne figure lorsqu'il s'agit d'explosion de violence. Puisque le mot « pain » est un des 140 synonymes de celui de « coup », profitons-en donc pour aller fureter du coté des fournils et des pétrins et y relever l'indice d'agressivité attaché à ces lieux.
Master & servant
Dans l'arrière-salle de la boulangerie B. au pont Neuf, en 1772, l'apprentissage du jeune Monty se fait à la dure. Tantôt B. lui jette des petits pains à la figure, tantôt il menace de lui lancer une marque entière de pain bis1. Ou encore l'apprenti Laffont, régulièrement maltraité par le boulanger P. et qui, en novembre 1780, se fait corriger à coup de pelle avant de recevoir une ravaille toute chaude sortie du four sur la face. Il s'en sort avec un saignement de nez2. Un siècle plus tôt, le compagnon boulanger Laurens Thoulouse aurait certainement préféré se prendre un simple pain, mais son maître a trouvé plus judicieux de le frapper avec marteau de fer ; forcément ça fait plus de dégâts et Thoulouse « auroit resté sanglant, grièfvement et mortellement blessé »3. Il s'en relèvera pourtant. En 1756, le petit Jean Carbonnier fait son apprentissage dans une boulangerie du faubourg Saint-Michel ; un jour d'août il reçoit un véritable déluge de coups et de projectiles. Il faut croire que D., son maître est un sanguin inventif : clefs, tailles4, balai, bûche « de la grosseur du bras et raboteuse » et fourche de fer ; bref, D. fait feu de tout bois pour passer sa colère5. Quant à Baptiste Soulan apprenti chez le boulanger L., il a droit de la part de son maître tantôt à des coups de bâton, tantôt à des coups de pelle, et jusqu'à cette mémorable séance de torture où L. le prit « avec des grosses cordes, le pendit par dessous les aisselles à une poutre du plancher de sa maison, où il le tint l'espace de demy-heure en le faizant tourner à force, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, le menaçant s'il dizoit mot de luy donner de coups de bâtons »6.
Parfois, on inverse les rôles. Là, c'est le garçon boulanger B. qui, tancé pour être arrivé en retard lors de la préparation des pains bénis, réplique en cognant tant son boulanger de maître que la femme de ce dernier7.
Au four et à la pelle
Les fours, généralement dissociés des boutiques de boulangers sont tenu par les fourniers. Le maître de pelle y règne en maître, et sa pelle est d'ailleurs un sérieux rappel à l'ordre pour ses apprentis et compagnons, comme pour les boulangers qui viennent y apporter la pâte à cuire.
C'est exactement ce que fait B., maître de pelle du four de la Capelle-Redonde, lorsque le boulanger Raby veut lui apprendre son métier. Il le prend « par la tête et l'a fait h[e]urter avec force et cruauté de la tête sur le mur, de manière qu'il luy a fait faire une cicatrice ou blessure très large et très profonde, et par laquelle il a répandu tant du sang qu'il en a été couvert à l'instant sur son habit. Ce qui a excité tant la consternation, même l'indignation, de ceux qui étoient dans led[it] four »8. Mais il en faut plus pour impressionner certaines. Et le fournier Larroque aura fort à faire pour venir à bout de Bernarde Tourens et sa fille, celles-ci ne quitteront son four qu'après avoir rendu coup pour coup9.
Penthotal
Finissons avec ce combat inégal place du Salin en 1745. Les armes de poing et de jet utilisées par Georges face à la malheureuse Jeanne (prête à accoucher) se déclinent d'abord avec un caillou, puis un poids en métal avant de s'achever sur « un gros pain double » qui atteint de ventre de Jeanne, « laquelle [...] tomba tout de suite évanouye et on la fit entrer chès la bouchère où de nouveau elle tomba comme morte »10. Presque de quoi lui faire passer le goût du pain. Or, en lisant la procédure récriminatoire, ce serait plutôt Jeanne qui « prit un poidz d'une livre qu'elle jetta sur l'estomac » de Georges11. Alors, qui croire ? Si le Penthotal (ceci est un médicament, demandez conseil auprès de votre médecin traitant) avait été inventé, les capitouls n'auraient-ils pas été tentés d'y avoir recours ici afin d'essayer d'obtenir la vérité ?
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1- FF 816/3, procédure # 069, du 14 avril 1772.
2- FF 824/8, procédure # 151, du 24 novembre 1780.
3- FF 729/1, procédure # 022, du 9 juin 1685.
4- La taille de bois qui permet de suivre et de faire les comptes entre le boulanger et ses pratiques (clients).
5- FF 800/6, procédure # 217, du 10 août 1756.
6- FF 789/7, procédure # 148, du 20 novembre 1745.
7- FF 775/2, procédure # 068, du 23 juin 1731.
8- FF 819/2, procédure # 025, du 4 février 1775.
9- FF 804/2 procédure # 037, du 15 février 1760.
10- FF 789/1, procédure # 001, du 9 janvier 1745.
11- FF 789/1, procédure # 002, du 9 janvier 1745.