ARCANES, la lettre

Sous les pavés


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archive ou de ressources en ligne. Retrouvez ici une petite compilation des articles de la rubrique "Sous les pavés", dédiée à l'archéologie.

SOUS LES PAVÉS


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Graffiti animalier sur tesson de poterie gauloise découvert dans le quartier Saint-Roch à Toulouse, infographie Marc Comelongue, d’après un dessin d’André Glory paru dans Gallia en 1947.

L’oie qui fait cygne


mai 2024
Quand on cite Toulouse, on peut penser au Capitole. Et quand on évoque le Capitole, on peut se rappeler du mythe des oies qui l’ont défendu d’une attaque des Gaulois. Sauf que cette histoire concerne le Capitole antique de Rome, pas l’édifice toulousain bien plus récent. Alors, pas d’oie à Toulouse durant l’Antiquité ? Peut-être que si.

Lors de fouilles effectuées dans le quartier Saint-Roch par Léon Joulin, au début du 20e siècle, de nombreuses céramiques gauloises ont été découvertes. L’une d’elles est exceptionnellement décorée de graffitis animaliers et, conservée au musée des Toulousains de Toulouse dans les années 1940, elle y fut dessinée par André Glory.
Comme le montre son croquis que nous présentons ici, on y trouve, accompagnant cerf et sanglier, une silhouette d’oiseau à long cou que cet archéologue a pu interpréter comme une oie… ou comme un cygne.
Effectivement ce bec bossu, c’est peut-être un signe. On peut aussi y voir un flamant rose, mais là on passe du Capitole à la Camargue.
Portraits des capitouls et tour occidentale du pont de la Daurade, anonyme, Chronique 132, 1437-1438, Annales manuscrites de la Ville de Toulouse, 1er Livre des Histoires, 1352-1516. Mairie de Toulouse, Archives municipales, BB273.

On nous raconte des histoires


avril 2024

Sous l’Ancien Régime, la commune de Toulouse publiait ce que l’on a maintenant l’habitude d’appeler des "Annales", pour immortaliser les actions les plus remarquables de l’administration de l’année passée. Mais, quand on consulte ces manuscrits, on s’aperçoit que les titres originels de ces chroniques annuelles utilisent plutôt le terme "Histoires". On les embellissait aussi avec des enluminures où les archéologues peuvent faire quelquefois leur marché. Pour exemple, nous présentons ici l’illustration montrant une tour qui défendait l’ancien pont de la Daurade, rebâtie durant l’exercice 1437-1438. Image précieuse car, même si la pile qui la supportait existe encore, cette tour fut rasée en 1734. Malheureusement, beaucoup de ces enluminures ont été détruites lors d’un autodafé pendant la Révolution. On sait d’ailleurs qu’on perdit à cette occasion la représentation de l’écroulement du Pont Vieux en 1485, qui aurait pu constituer un témoignage exceptionnel sur cette structure mal connue.

Les textes mêmes de ces "Livres des Histoires" abondent évidemment d’indications utiles pour reconstituer Toulouse disparu. Il faut toutefois rester prudent. Ces bilans étaient rédigés par un administrateur dont on peut se douter qu’il avait été témoin d’une partie des évènements qu’il décrivait. Et pour le reste, il pouvait s’appuyer sur les procès-verbaux des délibérations des conseils municipaux. Mais la synthèse conduit parfois à des approximations. Les Annales nous apprennent, par exemple, que l’on construisit un nouveau pont, dit de Clary, en 1613. Jeté sur la Garonne entre l’île de Tounis et le quartier Saint-Cyprien, elles nous disent aussi qu’on acheta la maison du teinturier Guillaume Pinel que l’on démolit pour aménager l’entrée du pont. Démolie ? Pas si sûr, en tout cas pas tant que ça. Si l’historien se plonge dans les archives les plus précises dont il dispose, c’est-à-dire les devis de travaux, il comprendra alors que, si le rez-de-chaussée de la maison fut bien dégagé pour servir de passage, ses deux étages furent néanmoins laissés en place. L’archéologue pourra ainsi, au lieu d’indiquer faussement que la maison Pinel fut détruite en 1613, nous apprendre que l’on inventa, cette année-là à Toulouse, un nouveau concept architectural : la maison-pont.

Grenouille sculptée dans un bénitier de l’église Saint-Paul de Narbonne, photographie Frédéric Vialelle, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Fouille à la grenouille


mars 2024
Les Égyptiens ont produit, durant l’Antiquité, des lampes en terre cuite représentant une grenouille et l’une d’elles a été retrouvée à Bordeaux vers 1910. Elles restent malgré tout rares en Europe et aucune des fouilles effectuées jusqu’à présent à Toulouse n’a apparemment révélé ce type d’objet. Néanmoins, une petite grenouille en bronze, servant de pendentif, fut recueillie lors de recherches sur le site gaulois de Vieille-Toulouse.

Un archéologue médiéviste ou moderniste aura, quant à lui, peut-être tendance à rechercher des grenouilles dans les bénitiers d’église, influencé par la proverbiale expression. Mais il faut avouer qu’à Toulouse, ni même aux alentours, la pêche ne sera pas bonne. Il faudra qu’il explore le département voisin de l’Aude pour enfin trouver, dans l’église Saint-Paul de Narbonne, le joli batracien taillé dans le marbre dont nous présentons une photographie. Il pourrait d’ailleurs en trouver d’autres tout près de là, à l’abbaye de Fontfroide, ou plus loin dans les Corbières, dans l’église de Montjoi. Mais si vous tenez absolument à dégoter un amphibien toulousain, on peut vous suggérer d’aller examiner, au musée des Augustins, un chapiteau provenant de la Daurade qui représente l’histoire de Job. Le diable qui y est sculpté a quelquefois été décrit comme ayant les traits d’un crapaud. Mais c’est assez subjectif, comparé à la rainette narbonnaise.
Substructions antiques découvertes près de la chapelle Saint-Roch des Récollets à Toulouse, relevé par Pierre Fort, 30 mars 1954, Mairie de Toulouse, Archives municipales, fonds Pierre Salies.

Archival Toto, Archéo Total


décembre 2023

Il suffira d'attendre assez longtemps… et nos objets quotidiens finiront dans un musée… et nos journées ordinaires seront analysées par des historiens. On peut imaginer, dans quelques centaines d'années, une unité de recherche universitaire baptisée « Archival Toto » (car l'humanité ne parlera alors qu'en anglais), chargée de documenter les étranges faits et gestes d'un certain petit groupe d'individus ayant parcouru la planète à la fin du 20e et au début du 21e siècle. Ils découvriront alors peut-être, dans les archives municipales de Toulouse, des images de cette tribu migratrice, nommée « Toto », animant une étrange cérémonie, appelée « concert », le soir du 30 mars 1999 à Toulouse. Et à partir d'une photographie, dont vous trouverez la reproduction dans une autre rubrique de ce numéro d'Arcanes, ils s'interrogeront probablement sur la signification cultuelle des éclairages ou tenteront de reconstituer des instruments de musique oubliés.

Si nous abandonnons le collectif Toto pour nous intéresser au singulier Total, ce grand groupe énergétique français a publié, dans les années 1970-1980, une revue intitulée « Caesarodunum ». Souvent sous-titrée « Total Archéologie », son fascicule de l'automne 1980, intitulé « Les 100 villes qui ont fait l'Occident », contient un article sur Toulouse par Pierre Salies et Georges Baccrabère. L'un de ses principaux intérêts était de dévoiler le dessin de substructions antiques découvertes en 1954, près de la chapelle Saint-Roch des Récollets, lors du creusement d'une tranchée dans la rue. Mieux encore que le croquis publié, nous pouvons vous présenter aujourd'hui le relevé original, maintenant conservé aux Archives municipales.

Journée portes ouvertes sur le chantier archéologique de l’hôpital Larrey à Toulouse, 11 décembre 1988. Reportage photographique de la Direction de la Communication - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 15Fi5933/2.

Anciennes visites, dernière visite


novembre 2023
Les archéologues médiévistes ou modernistes apprécient tout particulièrement la lecture des anciennes visites pastorales. Ce sont les comptes rendus des inspections faites régulièrement par les évêchés dans les paroisses. On y notait l’état des églises et des cimetières, ainsi que du mobilier utilisé par le curé, et on indiquait ce qui devait être amélioré. Même les chapelles privées étaient examinées. C’est ainsi que, lors d’une étude menée par le service archéologique de Toulouse Métropole à Beaupuy, on a relevé que le seigneur du lieu avait possédé sa propre chapelle à côté de son château, tous les deux maintenant disparus. Et plus récemment, à l’occasion de la révision de la carte archéologique de Saint-Orens-de-Gameville, les visites ont permis de recenser des oratoires avec leur autel domestique chez plusieurs habitants du 18e siècle, structures qu’il aurait été bien difficile de repérer autrement.

Mais les archéologues organisent aussi leurs propres visites. Il s’agit de journées portes ouvertes qui permettent au public de visiter leur chantier en cours de fouille. À Toulouse, on pratique ce type de médiation depuis les années 80 comme le montre la photographie que nous présentons. Nous sommes le 11 décembre 1988 sur le site de l’ancien hôpital militaire Larrey et nous pouvons y apercevoir les ruines d’un bâtiment des 5e-6e siècles de notre ère. L’occasion n’était pas à manquer car il s’agissait là d’une dernière visite. En effet, ces vestiges, identifiés comme le palais des rois wisigothiques de Toulouse, ont laissé peu après la place à un projet immobilier.
Double tournois de Louis XIII découvert dans un sarcophage de l’enfeu des Comtes à la basilique Saint-Sernin de Toulouse, photographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Sus à l’intrus : Louis XIII chez les comtes de Toulouse


octobre 2023
Les archéologues n’aiment pas trop les intrus. Tout d’abord ceux qui s’introduisent sur leurs chantiers pour dérober ou dégrader du mobilier. C’est déjà arrivé à Toulouse, notamment lors de fouilles de cimetières anciens à la halle aux grains en 1999-2000 ou dans la rue des Trente-Six-Ponts en 2014 où des sépultures ont été vandalisées. Et puis il y a les intrus qu’ils découvrent dans les couches archéologiques. En général, c’est un objet plus ancien que le milieu où il se trouve. On comprend alors sans difficulté qu’il y a pu avoir un mélange : un habitant du Moyen Âge a pu, par exemple, en creusant dans son jardin, déterrer une monnaie antique et la transplanter dans son espace chronologique.

Par contre, c’est quelquefois un objet plus récent qui perturbe la datation d’un ensemble et il est difficile d’expliquer sa présence. Récemment, le service archéologique de Toulouse Métropole a fouillé à Toulouse, sous la direction de Bastien Lefebvre, l’un des sarcophages de l’enfeu qui se trouve à l’extérieur de l’église Saint-Sernin. Réputé contenir les restes des comtes médiévaux de Toulouse, on eut la surprise de découvrir dans ce tombeau une monnaie de Louis XIII, plus précisément un double tournois des années 1620 dont nous présentons une photographie, accompagné d’ailleurs de tessons de poteries d’époque moderne. Nous passerons sur l’ironie de voir, à côté des ossements des comtes, des fleurs de lys, emblème des rois de France qui ont justement mis fin à la dynastie comtale au XIIIe siècle. Alors, que s’est-il passé ? On pourrait presque imaginer quelqu’un balayant autour de la basilique vers 1700 qui, ne sachant pas trop quoi faire des déchets qu’il a ramassés, aurait soulevé le couvercle du sarcophage pour l’utiliser comme une simple benne à ordures…
A gauche, gravure de Germain Chambert publiée dans Monumens religieux des Volces-Tectosages…, par Alexandre Dumège, Toulouse : Bénichet Cadet imprimeur-libraire, 1814. A droite, dessin de Saint-Elme Gautier publié dans Catalogue des Bronzes antiques de la Bibliothèque nationale, par Ernest Babelon et J.-Adrien Blanchet, Paris : Ernest Leroux éditeur, 1895.

Quand on est un Amour romain, on fait joujou avec…


décembre 2015
… un papillon. En tout cas, c'est ce que nous montre une statuette en bronze publiée par l'archéologue toulousain Alexandre Dumège en 1814. Découverte à Caraman, elle rentra très précocement au Musée de Toulouse car on la trouve déjà inventoriée dans le catalogue de l'an VIII de la République. Certains ont pu avancer que cet insecte pouvait symboliser l'âme, tandis que d'autres, peut-être plus férus en entomologie,  ont cru plutôt voir un scarabée les ailes ouvertes…
Et quand on est un petit garçon romain, on a des joujoux plus gros…
… comme le cygne que l'on voit représenté sur une autre statuette en bronze, découverte à Toulouse en 1864 et conservée dans les collections de la Bibliothèque Nationale.

… un papillon. En tout cas, c'est ce que nous montre une statuette en bronze publiée par l'archéologue toulousain Alexandre Dumège en 1814. Découverte à Caraman, elle rentra très précocement au Musée de Toulouse car on la trouve déjà inventoriée dans le catalogue de l'an VIII de la République. Certains ont pu avancer que cet insecte pouvait symboliser l'âme, tandis que d'autres, peut-être plus férus en entomologie, ont cru plutôt voir un scarabée les ailes ouvertes…

Et quand on est un petit garçon romain, on a des joujoux plus gros… comme le cygne que l'on voit représenté sur une autre statuette en bronze, découverte à Toulouse en 1864 et conservée dans les collections de la Bibliothèque Nationale.