ARCANES, la lettre

Zoom sur


Chaque mois, les Archives présentent dans la rubrique "zoom sur" un document issu de ses fonds, nouvellement acquis ou bien un document exceptionnel. Retrouvez ici une petite compilation de tous ces articles.

ZOOM SUR


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Toulouse Football Club / Cercle Athlétique de Paris, 1953. André Cros - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi6371.

Jeu de l’oie


mai 2024

Des oies et des jeux ! Non, nous ne sommes pas dans un cirque romain, mais bien dans l’enceinte du Stadium où, en ce 24 mai 1953, le Toulouse Football Club rencontre le Cercle Athlétique de Paris. Sur le terrain, se tiennent côte à côte les joueurs du club toulousain devant leur nouvelle mascotte, une oie baptisée « Jeanne-Marie ». Le palmipède leur aura porté chance puisque, à l’issue de cette saison, le club toulousain est sacré champion de France de deuxième division.

Réalisée par André Cros, cette image révèle toute la malice du photographe. Captant l’air amusé des joueurs observant l’animal, puis nous le donnant à voir, il créé un ping-pong visuel efficace. « Les observateurs/scrutateurs observés » pourrait-on lire en légende du cliché. 

Pour la petite histoire, l’oie devient l’emblème du TFC en avril 1953, suite au déplacement du club à Strasbourg, lors d’un match décisif de la division 2. Souhaitant offrir un cadeau à leurs homologues alsaciens, les dirigeants toulousains leur apportent une oie… vivante ! Hélas, un penalty sifflé en faveur du TFC – qui remporte la rencontre 2-1 – provoque la colère du président strasbourgeois. Hors de question qu’il garde l’animal ! Jeanne-Marie est ramenée à Toulouse, fêtée avec les joueurs à leur arrivée, devenant ainsi la mascotte du club avant de finir empaillée.

Campagne d’Orient, Odessa (Ukraine). L’escalier de Richelieu aujourd’hui baptisé "escalier du Potemkine", Décembre 1918-mars 1949, Louis Albinet - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 87Fi1012.

La marche de l'histoire


avril 2024

La découverte d’un fonds d’archives s’accompagne, bien souvent, de son lot de surprises et d’étonnements. Très récemment, celui du photographe toulousain Louis Albinet (1850-1938) a encore frappé. Après avoir évoqué les apparitions inattendues à l’image de son ombre lors d’un précédent billet, cette fois, c’est celle de cet escalier monumental qui est restée solidement ancrée dans ma mémoire. Nos lecteurs cinéphiles ont peut-être déjà une petite idée, mais aujourd’hui on voyage à Odessa, et je vous raconte à quel point une seule photographie peut avoir le pouvoir de témoigner si subtilement de l’histoire. En 1925, une scène mythique de l’un des monuments de l’histoire du cinéma, Le Cuirassé Potemkine, fait entrer dans l’Histoire les 192 marches de l’escalier Richelieu d’Odessa. Réalisé par Sergueï Eisenstein, le film raconte un épisode historique de la Russie : la révolte et la mutinerie de l’équipage du Cuirassé Potemkine survenues pendant la révolution de 1905, considérées comme prémices de la Révolution d’Octobre 1917. Ce long-métrage, en plus d’être pour l’époque une véritable prouesse technique usant d’un des premiers travellings du cinéma, est surtout réputé pour être une des œuvres de propagande majeure du XXe siècle. Sous la demande du gouvernement soviétique en place, l’auteur romance et transforme l’histoire, usant de procédés esthétiques révolutionnaires, pour appuyer la nouvelle philosophie idéologique en place. 

Attendez, pas la peine de vous essouffler en grimpant à toute allure ces 142 mètres qui s’étendent entre ces deux différents récits d’une seule et même histoire. Prenons tout de même un peu de temps pour faire une pause, et arrêtons-nous sur un des neuf paliers intermédiaires pour écouter celle de Louis Albinet, l’auteur de cette vue stéréoscopique sur plaque de verre. Au cours de la Première Guerre mondiale, le photographe est mobilisé sur le front d’Orient et intègre le Service Archéologique de l’Armée d’Orient. Dans ce cadre, il produit une importante quantité de clichés et nous fait voyager en Grèce, allant de Salonique à Delphes, puis en Turquie, pour terminer sa course, en mars 1919, dans la ville d’Odessa. Peu avant son retour en France, il nous dévoile l’atmosphère hivernale de cette ville et arpente ses avenues enneigées. Situé en contrebas de cette enfilade interminable de marches, il double de quelques années le réalisateur russe, et révèle cet ouvrage architectural qui deviendra, des décennies plus tard, si célèbre.

Croyez-le ou non, les escaliers ont bien des histoires à nous raconter. Je ne peux d’ailleurs pas m’empêcher de terminer cet article par une de mes dernières trouvailles, encore signée de la main de Monsieur Albinet. Il nous emporte avec lui à Sienne, en Italie, en compagnie de sa très chère épouse. Qui sait, peut-être que cet escalier fort photogénique, mis en valeur par les douces lumières des vacances, ainsi que la pose de Juliette Albinet vous évoqueront quelques belles histoires et raviveront les scènes les plus marquantes issues de vos films ou séries favoris.

Ardizas (Gers), 1946, chasse à la grenouille, dans le reportage « Quatre jeunes filles en vacances à la campagne ». Jean Dieuzaide, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi4/4.

À table !


mars 2024

Ce qui est incroyable avec le fonds Dieuzaide c’est que vous tirez sur un fil et toute la pelote se déroule. Un peu comme quand je cherche un titre à mon article. Par exemple, sur le thème de la grenouille, une première recherche nous permet de découvrir un reportage de 1946 intitulé « Quatre jeunes filles en vacances à la campagne » où une des photographies porte la légende « chasse à la grenouille ». C’est maigre pour un article Arcanes. A peine peut-on parler du fait que ce sont les premières vacances post-guerre et que Jean Dieuzaide, comme ses contemporains, souhaite passer à autre chose, montrer que la jeunesse française peut se détendre, profiter de la paix, sortir les bikinis et taquiner le batracien. Sorte de mantra pour conjurer la morosité. D’ailleurs, dès 1945 il avait photographié les premières vendanges en temps de paix après 6 années de répression. 


Mais en creusant plus avant, de frogs en rosbifs, s’impose la question de la cuisine traditionnelle ou, plus largement, de l’alimentation. Et là, il y a. Plus qu’on ne pense. Il y a de quoi illustrer une évolution de la production agroalimentaire et de sa communication pendant les Trente Glorieuses. 


Joie. Et frustration parce que l’exhaustivité est une illusion.  


Nous avons donc, pour la production, le gavage des oies à la main et avec le sourire (toujours en 1946 et visible en ligne), la transformation et le conditionnement du lait dont la production de beurre (Union laitière coopérative), de biscottes (Paré), la cueillette (alimentation de Provence). Le conditionnement n’est pas en reste avec un reportage sur la verrerie ouvrière d’Albi et la verrerie BSN. Signalons un reportage dédié à la production de berlingots pour le lait et des images de produits à fins publicitaires chez ULC.  


Et la commercialisation, on en parle ? Le fonds regorge de prises de vues dans les foires et les marchés, que ce soit autour de joueurs de rugby, de célébrités résidant ou de passage à Toulouse et bien entendu des reportages spécifiques sur les activités économiques. Cela nous mène inévitablement aux foires-expo ou au marché-gare, dont il a également suivi la construction, des maquettes (pour la municipalité de Toulouse) à la fabrication par les Ateliers de la Rive (nous en avions exposé un tirage aux Jacobins en 2021-2022) et l’entreprise Loupiac. Inauguré le 21 avril 1964, André Cros s’y trouve, alors que Jean Dieuzaide est à Arnaud-Bernard pour suivre sa dernière journée de vente. Rassurons-nous, il a suivi de près l’arrivée de l’Épargne et de Monoprix. Ceci nous permet d’affronter un choix cornélien : architecture ou industrie ? Mais si nous restons fidèles à notre idée de départ et que nous nous en tenons à l’alimentation, d’un marché à l’autre nous passons à Victor-Hugo et aux Carmes, dont Dieuzaide nous offre des avant/après reconstruction. Poussons encore d’un pas et partons dans le Gers, nous y trouvons le marché au gras de Trie-sur-Baïse ; continuons à l’étranger : la nourriture reste très présente dans les reportages au Portugal, en Turquie et en Espagne. Poursuivons plutôt vers le nord : même à Londres, il nous délecte d’étals. Nous voici presque au point de départ, un petit saut de grenouille et nous voilà sur nos pattes. 

[14 juillet - Défilé des pêcheurs]. Cliché Marius Bergé - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 85Fi1861.

Un certain sens de la fête


février 2024

Deux hommes – l'un muni d'une épuisette, un filet de pêche autour du cou, l'autre affublé d'un étonnant costume – encadrent un petit chien déguisé posant, sous une ombrelle, en équilibre sur une bicyclette. Une représentation de l'absurde ou de la fête, qui prend parfois un tour déraisonnable, extravagant. On notera l'air malicieux du personnage de droite et les sourires de ceux qui assistent à la scène, à l'arrière-plan. Sa casquette vissée sur la tête, le personnage de gauche essaye quant à lui de garder son sérieux, le temps de la photo s'entend. Sans élément de contexte, que dire de cette image sinon qu'elle illustre un certain sens de la fête ? 
Nos fonds iconographiques comprennent de nombreux clichés réalisés lors de cérémonies, banquets, foires, bals populaires, cavalcades et carnavals… qui nous offrent un témoignage unique de la façon de faire la fête, de célébrer et de commémorer les événements à Toulouse au fil du temps. Cette photographie extraite d'un reportage du photographe et homme de presse, Marius Bergé, montrant comment se déroulaient les festivités du 14 juillet dans les années 1920, n'en fait pas exception. Pendant l'entre-deux-guerres, la célébration de la Fête nationale donnait lieu à l'organisation de toute une série de manifestations : à la traditionnelle revue des troupes pouvaient ainsi succéder des Joutes Cettoises ou des régates sur la Garonne, des courses hippiques ou taurines, une fête de gymnastique, l'arrivée d'un critérium cycliste, un concours de bébés et voitures fleuries au Grand-Rond. Mais ce n'est pas tout.
L'image que nous vous présentons a été prise en marge du fameux concours de pêche initié alors sur les bords du Canal, chaque 14 juillet, par la Société des pêcheurs à la ligne de la Haute-Garonne. Concours qui était précédé d'un défilé costumé – et en musique – lors duquel les pescofis ou pêcheurs toulousains rivalisaient d'originalité. « Les pêcheurs à la ligne ont eu leur journée le 14 juillet » rapportait Le Cri de Toulouse du 28 juillet 1923. « Ils n'ont pas pris la Bastille… mais dans le canal de Brienne, une quantité notable de poissons. 800 lanciers avaient bravé une journée torride pour pincer un chevesne ou un barbillon, voire même un coup de soleil. »

Groupe de Lapons à Tromsø (Norvège) lors de l’expédition au Spitzberg, 1906, Maurice Gourdon - Mairie de Toulouse, Archives municipales, nc.

Job-ci Job-là


janvier 2024
J’ai fait, ces derniers temps, la très rapide connaissance (à travers une partie de son œuvre) du pyrénéiste Maurice Gourdon (1847-1941). Malheureusement, il me sera bien difficile de vous conter avec exhaustivité son parcours et son histoire, tant son activité me paraît si dense et diversifiée. Tout comme beaucoup d’amateurs éclairés de son époque, il est sur tous les fronts, inépuisable ; il multiplie les passions et domaines d'expertise : géologue, paléontologue, cartographe et dessinateur, il porte à lui seul bien des casquettes, menant avec beaucoup de talent ces jobs tous plus variés les uns que les autres.

Il s’intègre dans tout un pan de l’histoire de la photographie toulousaine de la fin du 19e siècle, celle d’hommes très éloignés de toute forme de préoccupations financières, pour qui la photographie n’est en aucun cas leur fond de commerce. Ces passionnés consacrent tout leur temps et/ou carrière à la science. Plusieurs auteurs me viennent rapidement en tête et, à leur évocation, je ne peux que vous inviter à découvrir ces images glanées sur notre base de données, signées des grands noms de cette époque : l’ancien directeur du muséum d’histoire naturel Eugène Trutat, l’archéologue Émile Cartailhac, le chimiste Charles Fabre ou le spéléologue Félix Régnault. Membres de sociétés savantes, amis et associés, ils s’accordent tous sur la place primordiale qu’occupe ce médium, encore bien récent qu’est la photographie, dans l’ensemble de leurs travaux. Cette invention permet enfin aux experts de rendre compte, fixer et reproduire des phénomènes naturels et humains avec une précision, une exactitude et une facilité jamais égalée auparavant. Tous les champs d’étude y passent : l’archéologie, l’anthropologie, l'ethnologie, la géologie, la paléontologie et bien d’autres... car laissez-moi vous dire que dans cette énumération déjà foisonnante, j’en oublie très certainement. Ils photographient non seulement les mutations que connaît la ville de Toulouse durant ces années-là, mais aussi les sommets et sentiers pyrénéens fraîchement découverts, autant que des expéditions dans des contrées lointaines. Nous avons l’exemple ici d’un cliché de projection, réalisé par Maurice Gourdon lors de son excursion en 1906 vers l’île du Spitzberg, sur lequel posent un groupe de Lapons à Tromsø en Norvège. 
 
Je ne sais pas vous, mais de mon côté, je ne cesse d'être fascinée par ce temps de l’histoire : là où la science, l’image, voire la poésie, se rencontrent et finissent par s’entremêler et s’alimenter l’une l’autre. Et oui, n’oublions pas que si la photographie se met avec brio au service de ces érudits, sa pratique nécessite quant à elle des compétences pointues en optique et en chimie pour en maîtriser les diverses techniques et procédés. Petit clin d’œil à Maurice Gourdon : ici, dans la peau d’un apprenti chimiste, il nous livre ses recettes, certainement expérimentées des heures durant dans une chambre noire, tout comme on tenterait de dégotter l’assemblage parfait des ingrédients pour cuisiner le gâteau de quatre heures le plus savoureux possible. Je pense aussi à Félix Régnault, qui dessine à même le négatif papier (ou calotype pour les intimes) pour retoucher avec précision son image et faire naître en nous toujours plus de magie et d’émerveillement.
Saint-Marcet (Haute-Garonne), 1945-1946, vue plongeante depuis la plateforme du derrick sur le puits de forage. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi1/901.

Total fuel experience


décembre 2023

Je vous amène aujourd'hui dans l'immédiat après-guerre, dans une photographie vivante, qui peut provoquer une sensation de vertiges en cascade. 
Des lignes horizontales sur la gauche confrontées à une soudaine verticalité puis à un enchevêtrement de barreaux sur la droite, aucune rondeur, pas d'humain : la lecture est malaisée au premier abord. L'œil cherche un appui, une référence et tout à coup la surface granuleuse du sol boueux apparaît. Alors suivent les tubes, les bacs où l'on voit couler la boue, l'échafaudage, puis le point de vue : le photographe perché au sommet d'une plateforme qui repose sur une tour étroite et vide nous oblige à sonder le trou vertigineux. On imagine la machinerie, les exhalaisons soufrées, le vacarme des moteurs avec leurs moyeux d'acier graissé, les mécaniciens contrôlant, changeant les trépans, têtes aveugles perforant l'intimité de la terre à des profondeurs encore jamais atteintes.
Une première percée à 1900 mètres en 1939 sur la commune de Saint-Marcet, dans le Comminges, permit à la France de s'approvisionner en gaz naturel « local » jusqu'à ce que le gisement soit réputé épuisé, en 2009. Avant d'avoir des idées, nous avions un peu de pétrole. 
Jean Dieuzaide réalise ses premiers reportages sur les hydrocarbures pyrénéens dès 1945-1946. Il documente le ravitaillement en gaz à Toulouse par wagons chargés de bonbonnes. Il se rend dans le Comminges où il photographie les chercheurs dans les laboratoires de géologie de Saint-Gaudens puis le site de forage, les installations et les ouvriers au travail.
Plus tard, il œuvre pour la Régie autonome des pétroles (RAP), se rend dans le Sahara algérien sur la base d'In Amenas, travaille pour la société nationale des pétroles d'Aquitaine (SNPA). Une partie non négligeable de ses photographies industrielles a été réalisée autour du pétrole et ses dérivés et en 1993 l'entreprise Elf achète la quasi-totalité des négatifs issus de ce travail*. Nous avons encore, aux Archives de Toulouse, tout ce qui concerne le client Heurtey, ainsi que les premiers reportages de 1945-1946, visibles en ligne. 

*Vous pouvez venir sur place consulter le contenu de ce reportage de 1964 en Algérie, cédé par l'auteur au groupe pétrolier.

[Album de la famille Marion-Brésillac - Château de Launaguet] Départ des Mauvaisin, 1912. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 83Fi58/64.

Un petit tour et puis s’en vont


novembre 2023
Les images d’archives documentant les « visites » sous leurs différentes acceptions sont légion, notamment celles d’hommes d’État venus à Toulouse s’entretenir avec les responsables politiques : la presse locale et les institutions ayant eu à cœur de relayer ces événements et d’en garder la trace. Ces photographies de visites officielles, souvent pleines de promesse et d’allant, ont quelque chose d’émouvant. Est-ce dû à leur caractère fugace ? Quoi qu’il en soit, leur enjouement me frappe. À peine arrivées, les personnalités défilent, sourire aux lèvres, dans la voiture automobile ou le fiacre qui les conduit solennellement à l’hôtel de ville, devant une foule en liesse. C’est l’enthousiasme des débuts. Tout est ouvert. Tout est possible. Ainsi de la visite à Toulouse du président Gaston Doumergue, le 9 juin 1929, défilant au côté du maire socialiste de l’époque, Étienne Billières, ou celle de Mohamed el-Habib, Bey de Tunis, le 22 juillet 1923, poétiquement photographié devant l’enseigne « Au Rêve » alors qu’il passe aux abords du Grand Hôtel. 
Voisinent avec ces clichés, des reportages plus prosaïques réalisés lors de visites de chantiers ou d’usines : visite de l’usine aéronautique de Saint-Martin-du-Touch par Valéry Giscard d’Estaing et André Turcat, le 20 mai 1969 ; visite du prince Philip d’Angleterre chez Sud Aviation, en novembre 1965. Sans compter les souvenirs des visites rendues par courtoisie, à la famille ou aux amis, souvent prétextes aux traditionnels portraits de groupe : ici réalisé dans une calèche, au moment du départ, car toutes les visites ont une fin.
Mes préférées entre toutes restent cependant les images prises lors de visites touristiques, quand l’on parcourt un pays à la découverte de ses curiosités et de ses sites. Tel le photographe toulousain Louis Albinet qui, à l’été 1920, a sillonné l’Italie lors de son voyage de noces, nous livrant des clichés d’une rare beauté. Pise, Milan, Rome, Florence, Venise… c’est toute l’Italie monumentale qui défile sous nos yeux. Le fil rouge ? La frêle silhouette de Juliette Albinet posant inlassablement devant la tour penchée, au sommet du palais Vecchio ou embarquée sur une gondole remontant le Grand Canal. Des vues stéréoscopiques sur plaque de verre récemment décrites et numérisées que vous pouvez désormais consulter en visitant ce lien.
Campagne d'Orient, Kirra (Grèce), Groupe devant le café, 1917. Louis Albinet – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 87Fi768.

Mauvaises manies


octobre 2023
Collectionneurs d’images et artistes hétéroclites, vous savez certainement que notre œil est souvent guidé, des fois bien à notre insu, par des petites obsessions et manies visuelles incongrues. En accompagnant le photographe toulousain Louis Albinet (1890-1938) à travers ses périples autour du globe, lors de la numérisation de ses plaques de verre, j’ai développé une toute nouvelle toquade. Prise d’une certaine sympathie pour le personnage, je me retrouve assez facilement à tenter de débusquer dans ses images toutes les traces qu'il a bien voulu nous laisser. Dans cette quête, j'identifie toutes ses apparitions - elles nous permettront de replacer dans l’ordre les différents bouts de son histoire - allant des plus évidentes, telles que des autoportraits et vues le mettant en scène, jusqu’aux intrusions bien plus accidentelles. On se souvient tous de ces portraits, ou paysages capturés, dont on est si fier, jusqu’à ce qu’on réalise qu’on a malencontreusement laissé traîner notre ombre dans le cadre. Oups. Ce sont bien ces maladresses qui ont tant éveillé mon attention, ces intrusions involontaires, par la lumière, de la silhouette du photographe se superposant au sujet initialement relaté. Malgré la distance géographique et l’écart des années, ces petites boutades provoquent en moi un certain amusement et attendrissement. Professionnel renommé ou simple amateur, nos ombres et reflets s’immiscent des fois si facilement dans nos clichés. Si vous trouvez ma nouvelle lubie peut-être un peu fantaisiste, sachez que ces mauvaises manies ont déjà pu être relatées et remarquées par plusieurs auteurs. L’historien de la photographie Clément Chéroux évoque ce phénomène d’auto-ombromanie dans ses ouvrages Fautographie et Ombres Portées, sans oublier leur place évidente dans le Manuel de la Photographie ratée de Thomas Lélu.

Au risque de passer pour un amateur, l’opérateur n’est habituellement pas invité à paraître à l’image mais, même quand il prend bien soin de rester en dehors du cadre, sa présence peut parfois être tout aussi malvenue. Confrontés à des sujets d’actualité sensibles ou à un modèle un peu récalcitrant, la pratique de cet art implique dans certains cas discrétion et patience. Elle peut mener son auteur à user de quelques subterfuges pour amadouer un sujet, voire le pousser à dégoter la cachette adéquate si la situation le nécessite. Pas toujours attendu, ou muni d’un laissez-passer, le photographe peut être perçu tel un intrus, et quand ses obsessions prennent le dessus, cet argument-là n’est pas toujours suffisant pour dissuader l’artiste. Dans l’ouvrage Rêves d’avions, Jean Dieuzaide nous conte une de ses mésaventures survenues sur le tarmac de l’aéroport de Blagnac. Pourtant bien habitué des usines de la SNCASE (Société de construction aéronautiques du Sud-Est) et passionné d’aviation, il n’obtient pas l’autorisation d’immortaliser le tout premier envol en 1949 de l’ Armagnac. Mais que nenni, cela ne va pas l’arrêter pour autant. Pour rien au monde il ne manquera l’événement. Toujours équipé de son Rolleiflex, mais cette fois dissimulé sous un long manteau, il s'introduit tout de même ce jour-là sur les pistes, bien décidé à illustrer le décollage du quadrimoteur. Il en saisit alors plusieurs précieux clichés, mais ces derniers lui causeront par la suite quelques sérieux ennuis : une arrestation, des suspicions d’espionnage, à deux doigts même, paraît-il, de lui coûter la prison.
Côte basque, 1947. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi5/267.

Meta


septembre 2023

Début des années 1950, le tourisme se développe à grandes enjambées dans une France où la voiture est une botte de sept lieues, sur un réseau routier qui se modernise. Michelin (pneus, cartes jaunes, guides verts et chefs étoilés) fait des émules : les guides touristiques se répandent, s’attachant une suite de spécialistes du patrimoine dans laquelle Jean Dieuzaide s’insère.

On sait qu’il rencontre Benjamin Arthaud dès 1950 lors d’une réunion du groupe des XV à Paris (groupe dans lequel le photographe Lucien Lorelle le fait entrer), et qu’il débute, à partir de 1953, une grosse décennie de collaborations avec l’éditeur isérois, après avoir fait ses preuves dans La Gascogne. On sait aussi qu’en 5 ans il illustre 13 volumes de la collection « La France illustrée » chez Alpina, petits ouvrages faciles à sortir du sac pendant les vacances ou à utiliser pour faire visiter la région aux amis de passage. Après Alpina il entame une collaboration avec Dom Angelico Surchamp pour les éditions Zodiaque. Une nouvelle rencontre marque l’œil de Dieuzaide, celle de l’art roman, et plus largement du patrimoine religieux médiéval, qui fait écho à sa spiritualité. Après une participation en 1956, il signe la photographie de 6 volumes entre 1958 et 1963 et obtient en 1961 le prix Nadar pour Catalogne romane. Parallèlement il œuvre aussi pour l’éditeur toulousain Privat avec des publications sur l’histoire régionale entre 1955 et 1967.

Ce sont les Trente Glorieuses et il faut alimenter l’appétit de découverte et de voyages avec des publications étoffées ou faciles d’accès mais toujours alléchantes. L’illustration, et particulièrement la photographie, y tient une place de choix. Majesté d’un monument, authenticité de traditions, mise en valeur de richesses locales, le photographe doit traduire l’atmosphère qui donnera envie de venir sur place, il séduit le chaland. En cela, Jean Dieuzaide est un métatouriste. Il parcourt une grande partie du sud de la France et de l’Europe, mais pas que, cahier des charges en poche et valise pleine de documentation sur les destinations pour lesquelles une publication est programmée.

Il visite ainsi une vingtaine de régions et pays en un peu plus de 15 ans, participe à une trentaine de publications et engrange une matière photographique qui remplit plus de 60 albums, consultables sur rendez-vous aux Archives. C’est en partie par ces pérégrinations que Dieuzaide se forge une patte. Son regard s’aiguise, son réseau se développe, il se forge une place notable auprès des directeurs d’entreprises et institutions et répond à leurs très nombreuses commandes, dont nous parlerons lors d’un prochain billet.

Bain de mer au Cap-Ferret, 1908 – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 69Fi223.

Bain de mer


juillet-août 2023

Sale/salle/salé… Je ne sais si cela tient à la saison estivale – propice aux voyages en tous genres et tous azimuts – mais le sujet abordé ce mois-ci dans Arcanes ouvre, aux rédacteurs et « passeurs de mémoire » que nous sommes, un vaste champ des possibles. Que de directions s’offrent à nous ! Alors pourquoi ne pas les emprunter toutes ?

C’est au bord de l’eau, sur les quais de la Garonne, que je m’engage. Là, sur le port Saint-Pierre, le port de la Daurade et le port Viguerie, les lavandières sont au travail. Leurs étendoirs de linge  (sale)  immaculé ponctuent de blanc les représentations anciennes que nous avons du fleuve, nous éblouissant encore de leur clarté et nous procurant une sensation de fraîcheur. Un peu plus loin, c’est sur une île que nous arrivons – Le Ramier – où, dans les années 1925-1930, l’architecte Jean Montariol conçoit, à la demande de la municipalité socialiste, le parc municipal des Sports, véritable palais d'éducation physique et d'hygiène. Une étonnante série de plaques de verre, réalisées en juillet 1931 à l’occasion de l’inauguration de la piscine d’été, nous montre la salle des Fêtes ou salle Jean-Mermoz encore en travaux, comme vous ne l’avez jamais vue.

De la salle Jean-Mermoz à l’aérodrome de Montaudran, il n’y a qu’un pas… ou qu’une association d’idées. A bord d’un avion Latécoère, mettons le cap vers le Sud. Après avoir survolé le détroit de Gibraltar, fait escale à Casa la blanche, longeons les côtes africaines en direction de Dakar en passant par le mythique cap Juby. Sur cette ligne, Saint-Ex, Mermoz, Reine… affrontaient quotidiennement la brume, la chaleur et le vent de sable pour acheminer le courrier au péril de leurs vies. Sale temps pour les pilotes, pourrait-on croire ! Or, pour beaucoup, comme Emile Lécrivain, il n’y avait pourtant de plus beau trajet. « On y grille, on y est pris par les Maures, on y reste. Mais on ne peut s’en détacher. Il n’y a pas de plus belle ligne que Casa-Dakar. Quand le temps est clair, qu’on a la mer bleue d’un côté, le sable tout fauve de l’autre et le ciel au-dessus, que le moulin tourne rond, tout chante à l’intérieur1. »

Ce voyage au fil de l’eau, à travers les époques et nos fonds photographiques, ne serait pas complet sans un bain régénérant dans l’eau salée. Ici, au Cap Ferret, en 1908. Plouf !

1. Joseph Kessel, Vent de Sable (Gallimard, Paris, 1966).

Tramways de Toulouse. Accident ligne 16 (1941). Pierre Albinet – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi828.

Quand les choses se gâtent [De l’accident en photographies]


juin 2023

En préambule à l’exposition Ce qui arrive (Fondation Cartier, Paris, 2002), imaginée par le philosophe et urbaniste Paul Virilio sur le thème de l’accident, le visiteur pouvait lire ces lignes éclairantes : "L’un des principaux phénomènes opposant la civilisation contemporaine à celles qui l’ont précédée est la vitesse. L’accident en découle. Il est une accélération qui affecte la vie, l’art… Les sociétés qui développent la vitesse développent l’accident." L'accident défini comme "ce qui arrive" et qui produit toujours un effet de sidération et de surprise  fait partie intégrante de l’histoire contemporaine. Et les photographies en sont les premiers témoins.

La recherche par mot-clé « Accident » dans notre base de données dédiée aux images donne lieu à une foule de résultats illustrant la diversité de la thématique. Depuis les catastrophes naturelles comme les inondations, aux sinistres artificiels de type industriels ou techniques, tous les aspects ou presque de l’accident y sont archivés : des accidents d'avions, de trains ou de voitures – plus attendus – à celui, plus rare, d'un attelage désuet renversé sur « l’ânodrome » des Amidonniers... Et comment évoquer les accidents à Toulouse sans parler de la catastrophe de la Dalbade, fait marquant de l'histoire locale, largement documenté par les photographes Louis Albinet et Marius Bergé ?

Sur le cliché que nous vous proposons, c’est pour les passagers du tram de la ligne 16, reliant Capitole à Guilheméry, que les choses se sont gâtées. Samedi 3 mai 1941, il est presque 14h30 quand un tramway remonte l’avenue Camille Pujol. A l’arrêt situé à proximité du Caousou, un court-circuit se produit. Alors que le wattman descend pour constater l’accident, relate La Dépêche du 4 mai 1941, la motrice fait subitement marche arrière et, prenant de plus en plus de vitesse, sort de ses rails, rentre dans la rue Jean-Goujon, traverse le boulevard de la Gare pour finir… dans les eaux du Canal. Certains passagers vont même jusqu’à sauter de voiture lors de cette course folle. « Jusqu’à une heure avancée, une foule considérable stationnait sur les bords du Canal, témoigne le journaliste. En ville, ce tragique accident a provoqué une profonde émotion ». De la sidération, sans doute.