L'homme
Une vie d'images
Jean Dieuzaide, 1952. André Cros - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi_nc_JD129bis
Né en 1921 à Grenade-sur-Garonne, Jean Dieuzaide a été l'un des photographes les plus connus du sud de la France, et certainement le plus productif, pour la seconde moitié du 20e siècle. Son regard a embrassé des sujets aussi divers que le sport, les événements culturels, économiques, politiques et religieux, l'industrie pétrolière et l'aéronautique, l'architecture et l'urbanisme, le patrimoine, la ruralité, les évènements privés, sans oublier ses recherches personnelles. Ses commanditaires étaient la presse, des éditeurs d'ouvrages sur le tourisme et le patrimoine, des collectivités, des entreprises et des particuliers. Il a également fait connaître son œuvre par de nombreuses expositions.
L'action de Jean Dieuzaide en faveur de la photographie et des photographes a été considérable. Il s'est durablement investi pour que cette discipline artistique accède à une reconnaissance institutionnelle et pour son rayonnement dans le monde.
Repères chronologiques
Enfance et adolescence
L'enfance de Jean Dieuzaide est marquée par une éducation sévère, entre un père aimant qu'il admire, receveur des postes au bureau de Grenade-sur-Garonne (Haute-Garonne), et une mère qui ne lui permet pas de se tromper ni de jouer avec ses camarades. Il a un frère, de 5 ans son aîné, qui devient avocat. Le décès soudain du père en 1934 oblige la famille, installée depuis peu à Bordeaux, à déménager successivement à Toulouse puis à Cannes.
Adolescent, il se découvre une passion pour l'aéromodélisme et il commence à prendre et développer des photographies, s'appuyant sur la courte initiation prodiguée par son père. Une suspicion de tuberculose en 1940 l'empêche de prétendre à l'école militaire de Saint-Cyr et l'oblige à se retirer en convalescence dans le Gers. Il y prend beaucoup de plaisir et manifeste un réel intérêt pour le monde rural.
Chantiers de jeunesse et portrait du général de Gaulle
En 1942, Jean Dieuzaide est incorporé dans les chantiers de jeunesse. Ses connaissances en photographie lui permettent de devenir chef du service photographique du groupement Pyrénées-Gascogne. C'est en cette qualité qu'il se trouve à Toulouse en août 1944, au moment de la Libération, qu'il photographie.
Peu après, à l'occasion d'une visite de Charles de Gaulle, il parvient à réaliser un portrait qu'il envoie immédiatement à toutes les préfectures avec un courrier de proposition commerciale. Achetée par la présidence du Conseil, l'image est largement publiée. Elle devient le premier portrait officiel du général et donne une impulsion à la carrière du photographe.
Le général Charles de Gaulle, Toulouse, place du Capitole, 16 septembre 1944. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi1/280
Une carrière jalonnée de rencontres
Dès 1946, Germaine Chaumel introduit Jean Dieuzaide dans le Cercle des XII. Deux ans plus tard, Lucien Lorelle le fait entrer dans le Groupe des XV. Les cercles photographiques mettent alors en avant les qualités esthétiques des travaux, tant par les images que par leur présentation. Jean Dieuzaide participe également au groupe Les 30x40. Membre fondateur du Groupe Libre Expression, il s'investit dans les rencontres de Lure à Lurs, et participe à la création des Rencontres de la Photographie d'Arles. Les réunions entre photographes sont ainsi l'occasion de partages de connaissances, de nouvelles rencontres et surtout de projets dont certains visent à organiser, professionnaliser et défendre le métier. Jean Dieuzaide crée en 1974 la galerie du Château d'Eau à Toulouse, qui est alors le premier lieu d'exposition en France exclusivement dédié à la photographie.
Les commanditaires des photographies (éditeurs, institutions, clients, collectionneurs) ont bien sûr eu un rôle dans le parcours de Jean Dieuzaide. Ce dernier a su rester ouvert aux rencontres qui ont participé à sa réussite professionnelle. En plus d'une activité foisonnante, il a eu une fonction prépondérante dans la promotion de la photographie.
Il a également su s'entourer d'une solide équipe de production. Dès 1950, c'est son épouse, Jacqueline Manuguet, qui assure les missions essentielles de classement, d'indexation, de documentation et permet l'accès à l'œuvre.
En 1971, Jean Dieuzaide est marqué par la mort de sa mère et par un grave accident de voiture qui l'immobilise plusieurs mois. Après sa convalescence, il décide de quitter son pseudonyme et d'utiliser son nom de naissance. Sa famille désapprouvant la carrière qu'il avait choisie, il s'était fait connaître comme "Yan" (Jean en Gascon).
Jacqueline Dieuzaide, bureau rue Joutx-Aigues, 1957. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi/nc/JD222
Profession photographe
Présentation du Concorde, ateliers de Blagnac, 11 décembre 1967. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi49/281
Tout au long des années 1945-1975, Jean Dieuzaide diversifie son activité. D'abord photographe de presse, il couvre surtout les évènements publics et sportifs du grand Sud-Ouest. Il s'entoure d'une équipe qui comptera jusqu'à 8 personnes, dont André Cros qui l'accompagne pendant 16 ans. Son atelier devient un centre de production très organisé et un laboratoire reconnu. Les premières sollicitations hors presse qu'il reçoit concernent le patrimoine régional pour des publications à vocation touristique (pour les éditions Alpina, Arthaud puis Zodiaque).
La notoriété de Jean Dieuzaide progresse rapidement. Inventif, réactif, il s'intéresse à des sujets aussi variés que l'innovation scientifique et industrielle, l'aéronautique, le monde rural, les artistes et la musique, l'architecture romane, mais aussi à la défense de sa profession. Immanquablement, des réseaux se tissent et son carnet de commandes se remplit, apportant de nouveaux marchés qui lui permettent d'élargir ses domaines d'activités et ses compétences.
Sensible aux formes graphiques, aux matières, à la lumière, il constitue la série des "Artistiques". Il l'enrichit au cours de ses reportages professionnels, de sa vie quotidienne ou lors de créneaux spécifiques d'expérimentation. Toute cette collection, les centrichimigrammes1, les photographies du brai2, les natures mortes, est restée propriété des ayants droit du photographe.
1Expérimentations avec de la chimie appliquée directement sur le papier photographique, sans prise de vues, selon divers processus. Les résultats constituent des œuvres argentiques non figuratives uniques.
2Résidu de la distillation du goudron de houille. Substance noire épaisse et visqueuse.
Un engagement sans faille
Première exposition de Robert Doisneau à la galerie du Château d'Eau, Toulouse, place Laganne, 5 juin 1974. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi69/188
Jean Dieuzaide comprend tôt que la reconnaissance de la photographie en tant qu'art dépend des sujets que cette dernière traite, de ses qualités esthétiques et techniques, mais aussi de sa diffusion. Il se met au service de sa valorisation dès qu'il rejoint le Cercle des XII et conserve sa vie durant la même volonté de la voir rayonner. Il s'implique aux côtés de l'équipe fondatrice des Rencontres d'Arles puis dans la création de la galerie du Château d'Eau à Toulouse, les deux foyers précurseurs du développement de l'exposition photographique en France dans les années 1970. Pendant les premières années, il n'hésite pas à assurer seul la production et la régie des expositions, sur ses fonds, en mettant son propre personnel à contribution. Ses 20 années de direction artistique lui donnent l'opportunité de promouvoir le travail de près de 200 photographes d'horizons variés, jeunes ou reconnus, régionaux ou basés à l'étranger.
À la même période, la photographie couleur prend de l'ampleur et commence à supplanter le noir et blanc. L'industrie des papiers photographiques va dans ce sens et commence à réduire son offre. Le papier baryté étant menacé de disparition, Jean Dieuzaide s'engage dans un combat pour le maintien de sa fabrication. Ses arguments ont gain de cause et l'on continue de trouver, en 2019, ces papiers aux riches gammes de gris et aux noirs profonds.
La volonté de conserver
Fiche d'indexation, entrée "Dali", recto. Stéphanie Renard - Mairie de Toulouse, Archives municipales
Dès le début de sa carrière, Jean Dieuzaide a conscience du fait que, pour être utilisé de façon optimale, son travail doit être correctement classé et indexé. Il consigne donc dans des albums les contacts de ses négatifs ainsi que toutes les informations utiles s'y référant. Ce travail est encore enrichi après la mort du photographe, le 18 spetembre 2003, par son épouse, son fils et sa dernière collaboratrice. Des coupures de journaux sont régulièrement insérées entre des pages, des personnes ou des lieux identifiés.
Après Dieuzaide : traitement et mise à disposition du fonds
En septembre 2016, sa veuve et ses enfants ont fait don à la Mairie de Toulouse de la plus grande partie du fonds photographique et artistique de Jean Dieuzaide. La collectivité a pour charge d'en assurer la conservation et la valorisation.