ARCANES, la lettre

Dans les fonds de


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archive ou de ressources en ligne. Retrouvez ici une petite compilation des articles de la rubrique "Dans les fonds de", dédiée à la présentation de documents issus de nos fonds.

DANS LES FONDS DE


"De algemeene drukkery" [Le besoin général], détail d'une vignette sur une planche de quinze, gravée chez Dirk van Lubeek à Rotterdam (vers 1800-1816). Rijksmuseum Amsterdam, RP-P-1936-522.

De la sellette à la selle, il n'y a qu'un pas


novembre 2025

Lorsqu'un accusé est interrogé par les capitouls sur la sellette, c'est un peu comme si son sort était déjà scellé ; en effet, ce dernier interrogatoire annonce généralement que l'individu est passible, au mieux d'une peine infamante, sinon d'une peine afflictive – qui va le toucher dans son corps. 

Cela dit, notre accusé, bientôt condamné, ne sait pas encore ce qui l'attend. Il ne sera même pas présent lors du prononcé de sa peine ; pour cela, il lui faut attendre, bien au chaud dans les geôles de l'hôtel de ville, qu'un greffier vienne lui lire la sentence. Ce temps d'attente dans les prisons n'est guère une invitation à la rêverie, et certains vont mettre à profit les dernières heures avant le fouet, la marque au fer rouge ou la corde, pour tenter de se faire la belle : c'est maintenant ou jamais. 

Là, deux solutions s'offrent à eux : soit percer un trou dans le mur, soit prendre la voie souterraine par les latrines. La deuxième option est certainement la plus périlleuse puisque Pierre Barthès, dans ses chroniques, relate un échec cuisant arrivé en 1742 : « La nuit du 4 au 5 de ce mois, troix prisonniers du Sénéchal [...] ayant formé le dessein de s'en aller, tentèrent leur évasion par les lieux communs de cette même prison, où, étant descendus l'un après l'autre, ils s'étouffèrent dans la matière contenue dans ce lieu, d'où on les sortit le lendemain dans l'état qu'on peut s'imaginer. On les lava et on les exposa pendant le jour, tout nuds à la veue du public dans la cour du Sénéchal, et la nuit suivante on les mit tous les troix dans un trou au cimetière du Taur »1. Bref, voie sans issue. 

Mais, quarante ans plus tard, ayant probablement su tirer des leçons de l'expérimentation malheureuse de leurs prédécesseurs, les nommés Coustele, Montagut, Bouquiès, Marie-Anne Rousse et Martine retentent l'expérience dans les prisons de l'hôtel de ville. Les hommes commencent par percer un mur qui les sépare des prisons des femmes, rejoignent celles-ci, puis se rendent incontinent dans les lieux communs à elles destinés. Là, unissant leurs efforts, la petite équipe de quatre déplace « la pierre formant les sièges pour lesdites latrines, qui est de six pams quatre pouces de longueur sur deux pams deux pousses de largeur et sept pouces d'épaisseur »2, enlève une « des barres de fer qui traversoit le trou du milieu de lad[i]te pierre où s'échapent les matières fécales ». Ils touchent presque au but, finissent d'agrandir le trou, se retrouvent dans une courette sans issue qui sert de poulailler3 et, par miracle, une échelle à bras s'offre à eux. Le reste est un jeu d'enfant : il suffit de grimper les barreaux, de pousser la fenêtre du logis des demoiselles Lozes, épouse et fille du bedeau des capitouls, de traverser leur appartement – devant des Lozes stupéfaites – et de là passer à la rue. Voilà, c'est fait : nos comparses doivent pousser un grand soupir de soulagement, ils sont libres4

Pour en savoir plus sur ces deux thématiques qui a priori n'ont rien en commun, n'hésitez pas à vous plonger dans la lecture des dossiers des Bas-Fonds : Le grand soulagement (n° 24, de décembre 2017), et La grande évasion (n°33, de septembre 2018).

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1- Bibliothèque municipale de Toulouse, Ms. 699, p. 101, entrée du 5 septembre 1742.
2- FF 826/7, procédure # 151, du 24 décembre 1782.
3- Oui, un poulailler au cœur de l'hôtel de ville !
4- Sauf que la seule Martine n'en profitera guère, elle sera reprise peu après.

Coupe d’une glacière-modèle, planche dans le texte de “L'art d'employer les fruits, et de composer à peu de frais toutes sortes de confitures et de liqueurs. Pour faire suite à la Cuisinière de la campagne”, page 117. Paris, Audot libraire, 1818.

Au-dessous de zéro


octobre 2025

Au risque de chambouler le long cours de l’Histoire, des études sur le climat, on pourrait affirmer que le petit âge glaciaire aurait pu être ressenti à Toulouse dès 1619 ; mais finalement non. Une nouvelle avancée des glaces semble poindre en 1647, mais il faut en fait attendre 1660 pour que la glace s’impose de manière durable dans la ville. 

Là, une précision s’impose : nous parlons d’une nouvelle « mode » qui gagne non seulement Toulouse, mais encore tout le royaume : celle des glacières.

Ces lieux permettaient de conserver la glace afin de pouvoir en disposer tout au long de l’année. Il s’agit généralement de puits coiffés d’un édicule en permettant l'accès. 

Le 27 août 1619, les capitouls font part aux membres du conseil de ville de l'offre du sieur La-Crambe, marchand, qui expose la nécessité et les avantages de boire frais durant tout l'été ; il propose ainsi d'assurer la fourniture exclusive de la ville en neige et en glace. Les capitouls sont certainement séduits et lui permettent l'établissement de son négoce, sans pour autant lui en donner l'exclusivité (BB 26, f° 47-48, conseil de ville du 27 août 1619, 2e point). L’aventure semble sans lendemain, tout comme la nouvelle proposition faite aux capitouls en 1647 (BB 34, f° 78-78v, conseil de bourgeoisie du 20 août 1647, 3e point (omis en son rang dans le registre et seulement inscrit en décembre).), certainement retardée, puis avortée pour cause de peste. 

C’est donc en 1660 que s’engagent les tractations qui amènent à la construction d’une première glacière proche du ravelin du Bazacle, un bail à fief entre la ville et Noël Martel est passé le 25 octobre 1660 (DD 62, f° 61v-63). Dès 1680, le nouveau cadastre indique cette glacière (qui disparaîtra probablement au cours du 18e siècle lors du percement du canal de Brienne), tout comme une autre, au-dessus du canal à Guillemery. Cette dernière va perdurer et même se multiplier puisqu’une expertise de 1746 y fait désormais état non plus d’une, mais bien de quatre glacières côte-à-côte : trois de forme ronde et une autre ovale (Relation de l'état des glacières de la ville, faite du 31 janvier au 5 février 1746. A.M.T., DD 96, liasse non foliotée). Les glacières de Guillemery sont encore en activité au 19e siècle. Ironiquement, le lieu est actuellement occupé par une grande enseigne de produit surgelés. Le compte ne serait pas complet si l’on ne mentionnait pas un troisième lieu : la glacière du port Garaud. Inutile de chercher à la localiser sur les cartes et les plans anciens, puisqu’elle se trouve... en sous-sol d’une maison ! 

Vue de la glacière, gravure par François Racine de Monville. 1785.La glace collectée sur Garonne ou bien descendue de la montagne lors des hivers trop doux n’est que stockée dans les glacières, ceux qui veulent en acheter au détail doivent se rendre dans des points de vente appelés bureaux de la glace qui se trouvent en ville. 

Comme il a été évoqué dans l’argumentaire de 1619, cette glace sert à rafraîchir les boissons ; la mode du vin sur la glace commence alors ; elle gagne les élites mais se démocratise certainement puisque l’on trouve qu’un cabaret rural de Pouvourville se fournit en glace (FF 750/2, procédure # 048, procédure du 27 juillet 1706). Puis viendront les eaux glacées, sortes de sorbets, et surtout les formages glacés qui feront fureur au 18e siècle. 

 

 

Pour les passionnés de glace(s), notez déjà la date du samedi 25 janvier 2026, où un atelier Au fil des chroniques des capitouls sera intégralement consacré à la glace et ses usages sous l’Ancien Régime. 

[scène dans un cabaret villageois], huile sur panneau de bois (H. 62 cm x L. 82.6 cm), par Cornelis Saftleven, 1642. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° SK-A-715 (détail).

Vin fleuri, vin trouble


septembre 2025

Tout aurait pu commencer à Toulouse par cette ordonnance du 20 juillet 1340, mais l'on sait bien que les trouble-vins existaient probablement depuis la nuit des temps.
Ce jour-là, après mûre réflexion entre les capitouls, les assesseurs, les médecins et autres prud'hommes, une délibération est prise, et l'on publie cette ordonnance municipale qui interdit aux marchands et taverniers de travailler le vin, d'y mêler de la terre glaise, du sel, du vermillon du Brésil1, de l'alun de roche, du calomel, des crottes de chien, de la chaux et autres matières nuisibles, comme aussi d'importer à Toulouse aucun vin ainsi arrangé2.

Les mélanges du cabaretier
Joseph Chevalier, dit Quic, prétend que les cabaretiers voisins mettent de l'eau dans leur vin. C'est là une accusation des plus courantes, mais ici la calomnie fonctionne puisque ces derniers sont obligés de faire appel à un expert qui, « ayant fait l'épreuve dud. vin » devant témoins, « il reconnut que ledit vin étoit pur et sans aucune mixion »3. En 1733, Jean Caillive commerce dans le vin : il laisse 17 tonneaux chez un cabaretier afin qu'il les vende à pot renversé. Le bruit se répand vite dans le public, que ce vin de Roquemaure est excellent. Mais voilà, le tavernier enivré par le succès va rapidement faire des mélanges avec d'autres fonds de barriques, afin de tirer plus de profit. Ses dons pour l'assemblage sont à l'évidence limités puisque ceux qui le goûtent le trouvent pour le mieux un « vin qui tiroit sur le fort », sinon « trouble » – « très mauvais et louche », jusqu'à « aigre et sentant le pourry » ; les experts appelés confirmeront4
En 1706, depuis Versailles jusqu'à Toulouse, la mode du « vin sur la glace » s'est répandue, jusque dans les auberges rurales, comme ici à Pouvourville. Le cuisinier Vidal, son épouse et son beau-père, profitent d'un beau lundi de juillet pour quitter la ville afin d'aller s'y promener. Après le déjeuner, « ayant fait partie d'aller boire chès le nommé Firmy, hoste audit endroit, ils y seroint allés ensemble. Et ayant fait tirer du vin et mettre à la glace, et après qu'ils en ont eu bu presque la moitié, ayant dit à l'hoste de leur en porter un demy-pégua pour huilier5 l'autre, ledit hoste, au lieu de leur porter du même vin, il auroit au contraire porté du vin farlatté et aygre »6
Le vin n'est pas toujours frelaté à dessein. Il se peut qu'un défaut de surveillance et d'ouillage dans les tonneaux le rendent fleuri. Ainsi, un dimanche de juillet 1745, sortant de la taverne de Françon Clémens, le doreur Joseph Cazalbon, est furieux ; il clame qu'elle « luy avoit donné du vin fleury, ce qui l'avoit obligé de dire à laditte Clémens, que si elle luy en donnoit une autre fois de semblable il vouloit le luy jetter au vizage »7.

Le public pas en reste
Pour la demoiselle Vey, cabaretière, le problème est différent. Elle tire à l'avance le vin des tonneaux et le stocke dans des pots sous l'escalier. Mais les voisins du dessus font quotidiennement du train dans leur ménage, « ce qui, en faisant tomber la poussière dans les pots où l'on met le vin, l'expose à être entièrement troublé »8. En 1691, Ursule Bayouli, tavernière, baille un péga (3,17 l.) de vin blanc à une domestique pour le dîner de son maître. Celle-ci revient peu de temps après en demandant d'échanger le vin blanc pour du vin rouge. Ursule refuse de reprendre le péga vendu « parce que elle ne pouvoit pas sçavoir si le vin blanq qu'elle avoit baillé étoit le mesme ou s'il avoit esté farlaté »9. Effectivement, une fois le vin tiré, rien n'empêche d'y ajouter quoi que ce soit. Par exemple, le forgeron Cayrol qui, invité à manger des crêpes chez le métayer de Bordenove près Larramet, s'y rend avec sa charrette et un tonneau de vin ; « il y resta en conséquance jusques à sept heures du soir, à laquelle il s'apperçut qu'on luy avoit bu près de huit pégas de vin de sa barrique et qu'on avoit en outre mis dans son gobelet avec le vin, du tabac pendant deux fois de suite, ce qui l'obligea à s'en plaindre »10. Cas extrême, ces buveurs – dont la tavernière pense qu'ils « estoint ivronnés par les marques qu'ils en donnoint » – qui « pissèrent chacun dans leur verre »11, puis vomirent tout, à tel point que « sella santoit si mauvais qu'on ne pouvoit pas rester » dans le cabaret.
On aimerait croire que la diffusion du vin bouché a rendu les choses plus sûres. Ce n'est pas évident : le contrebandier Philippe Huet, en sait quelque chose, en plus de son trafic de tabac de Macouba, il fait aussi dans le vin bouché qu’il achète à bas prix en Espagne, et y colle allègrement des étiquettes imprimées qui ne sont visiblement pas du cru12.

Et, même si le vin n'est pas toujours frelaté, il peut faire naître force troubles et conflits, Trouble-vin vous emmène justement à Lalande, sur le domaine de Lassesquières, du temps où un château se dressait encore là où un lac a maintenant élu domicile. 
Et justement comme le ban des vendanges approche, l'atelier Au fil des chroniques des capitouls du samedi 25 octobre sera entièrement consacré à la vigne et au vin.

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1. Certes le Brésil que nous connaissons n’est pas encore connu à cette date, mais le mot existe bien, il désigne généralement un bois rouge couleur braise, importé des Indes.
2. AA5/156. Notons que si l'acte est en latin, on précise bien que l'ordonnance, elle, sera publiée en roman (en occitan si vous préférez) et communiquée à tous les intéressés.
3. FF 824/6, procédure # 103, du 25 juillet 1780.
4. FF 777/7, procédure # 191, du 23 novembre 1733.
5. Entendre « ouiller », même si dans ce cas précis le sens est un peu détourné.
6. FF 750/2, procédure # 048, du 27 juillet 1706. L'affaire se termine par une rixe générale où s'entrechoquent bouteilles, fusils une hallebarde et encore une masse.
7. FF 789/3, procédure # 088, du 20 juillet 1745 – la maladie de la fleur correspond à la formation d'un voile qui apparaît sur le vin dans la cuve ou tonneau au contact de l'air.
8. FF 801/6, procédure # 148, du 8 septembre 1757– elle ne va pas jusqu'à jeter le vin, et le réutilise dans le vinaigre – en le filtrant des poussières on espère.
9. FF 735/1, procédure # 044, du 5 novembre 1691.
10. FF 825/1, procédure # 023, du 8 février 1781.
11. FF 760/2, procédure # 049, du 31 octobre 1716.
12. FF 831/1, procédure # 007, du 10 janvier 1787.

"Tussilago Farfara L. Petasites officinalis M.", avec inscription manuscrite : "Pas d'âne tussilage, les feuilles sont bonnes". Phototypie en couleur, planche XVI, publiée dans “l'Atlas végétal des plantes médicinales citées dans Ma cure d'eau", de Sebastian Kneipp, curé à Wörishofen en Bavière (traduit de l'Allemand en 1894). Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-F-2001-7-612-16.

Farfara


juillet - août 2025

En été, certains gambadent dans les prés pour conter fleurette, d’autres courent les champs afin d’herboriser. Avec la recette de l’eau de farfara, nous vous proposons d’aller cueillir, non pas les roses de la vie, mais bien des brassées de fleurs pour préserver cette même vie. 

Car ce voyage botanique nous mène en novembre 1652, alors que sévit la dernière épidémie de peste à Toulouse. Tous les remèdes sont bons pour tenter de se prémunir du mal, et l’eau de Farfara en est un, à tel point que les capitouls n’ont pas hésité à mandater l’apothicaire Savinien Guéride pour en confectionner1
Il vous faut d’abord trouver le farfara (Tussilago farfara) avec sa racine, c’est une évidence ; vous cueillerez ensuite de l’angélique odorante de Bohème (Angelica archangelica), de la tormentille (Potentilla erecta). Ajoutez à cela une bonne livre de coriandre préparée (Coriandrum sativum), autant de baies de genévrier (Juniperus communis), moitié moins de gentiane (Gentiana lutea). 
Vous n’êtes pas au bout de vos peines, car sitôt revenu pour déposer votre cueillette, vous devrez repartir quérir de l’osmonde royale (Osmunda regalis), cette fois, juste la racine fera l’affaire. Ajoutez-y quelques bouquets de succise2 des prés (Morsus diaboli). Ces deux dernières plantes se trouvent non loin d’ici, entre Garonne et Touch, au château Saint-Michel. Si votre panier n’est pas encore rempli, poussez jusqu’à Blagnac où poussent campanules (Campanula), chardons bénis (Centaurea benedicta) et citronnelle (Artemisia abrotanum). 
Repassez la Garonne et dirigez-vous vers Pech David d’où vous pourrez rapporter « les herbes nécesseres comme sont l’ulmaria, scabieuse, pimpinelle sauvage, romarin, rue, tussillaguo ». 
On vous laisse remettre ces dernières jonchées de fleurettes en français moderne et en latin, si vous en avez le courage, car il vous faut désormais commencer la préparation et vous munir d’un fourneau, de bassines, de mortiers et d’un alambic. 
Ah, une fois le feu allumé, rajoutez à la décoction frémissante six onces de clous de girofle (Syzygium aromaticum) et une demi-livre de cannelle (Cinnamomum). 

Après huit bons jours de distillation, filtrez et mettez en bouteille. 

Si vous souhaitez découvrir d’autres remèdes et leur composition, les capitouls ont pensé à tout, car cette même année, ils ont financé la réédition du “Bref recueil des remedes les plus experimentez, pour se preserver, & guerir de la peste”, par Jean de Queyratz3

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1 . Comptes du trésorier pour l’année 1652, chapitre des dépenses pour la peste : CC 2098, f° 431v ; et détails de la confection de l’eau de farfara : GG 1004, n.f..
2 . Ne confondez pas avec de la saucisse, ça marchera beaucoup moins bien.
3 . Comptes du trésorier pour l’année 1652, chapitre des dépenses pour la peste, CC 2098, f° 210-210v.

Les inondations de 1641 à Wolfenbüttel (Basse-Saxe), durant le siège de la ville. Gravure de Jan Luyken, Amsterdam, 1698. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-1896-A-19368-1450.

Débordement de violence en temps de crue


juin 2025

Juin 1781, la Garonne est une nouvelle fois sortie de son lit et l'eau a envahi le quartier Saint-Cyprien. Il faut bien faire avec. À tel point que des portefaix opportunistes proposent leurs services aux passants afin de pouvoir traverser la grand'rue plus en sécurité. 

Près de l'église Saint-Nicolas, voilà quatre porteurs du dais de la procession de la fête-Dieu qui, « se voyant enfermés dans la rue de la Boutonnière1 vis-à-vis le puids de la grande rue par la quantité extraord[inai]re d'eau qui provenoit du débordement de la Garonne, ils prièrent un homme de les passer – en payeant – sur ses épaules ». Las, lors du déchargement-débarquement de l'un d'eux, son pied, au lieu de toucher la terre ferme, rencontre celui du sieur Longchamps, officier de dragons. L'homme, visiblement ombrageux, ne se contente pas de simples excuses, et dégaine son épée et souffle le feu. 

S'ensuit un combat semi-naval (tout au moins amphibie) qui, aux dires des témoins, pourrait passer pour fort inégal : Longchamps « frappa à tort à et travers », « menaçeant de passer au fil de l'épée » les quatre malheureux, l'un desquels il « suivit [...] l'épée aux reins » et qu'il « auroit persé d'outre en outre » s'il n'eut esquivé le coup. Les moulinets pieds dans l'eau se succèdent aux feintes et aux parades improvisées, et c'est un miracle que personne ne finisse embroché. 

Mais si l'on prend cette fois le soin de lire la plainte et la procédure à la requête de Longchamps, le déroulement des événements apparaît bien différent. D'abord « grièvement insulté » par les quatre porteurs du dais, il se retrouve seul face à tout un quartier qui se dresse et se ligue, lui jetant une grêle de pierre ; ensuite, ces « assassins dont la pluspart étoient allors armés de bâtons ou de bûches et cailloux » se mettent à la poursuite du dragon, mais certainement au ralenti puisqu'il y « avoit de l'eau jusqu'à my-cuisse ». 

Bref, ce qui est certain reste que des plaies et bosses se comptent parmi les deux parties adverses, Longchamps en particulier n'hésite pas à présenter aux magistrats comme pièces à conviction et preuve de son cruel traitement « son habit d'ordonnance dragon avec un gilet de basin tout couvert de sang, quatre assiettes et quatre secoupes (sic) plaines de sang qu'il nous a dit qu'on lui a ôtté ce matin à deux reprises » – après une saignée par le chirurgien appelé à son chevet. 

Les crues passent et ne se ressemblent pas. L'atelier Au fil des chroniques des capitouls du samedi 28 juin sera justement consacré aux débordements de Garonne et permettra d'observer sous de nombreuses facettes les déchaînements du fleuve au travers des siècles et des récits des Annales manuscrites (1295-1787), mais aussi des délibérations des capitouls, de la comptabilité, des travaux public, des registres de sépultures, des procédures de justice, et encore de l'inestimable collection de plans conservés dans le fonds d'archives du moulin du Château en amont de l'île de Tounis. 

 

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1 Lire « Moutonnière ». 

Enregistrement du seing manuel de Jean Derins lors de sa prestation de serment devant les capitouls comme notaire. 1599. Mairie de Toulouse – archives municipales, BB 208, f° 227.

De ces figures qui hantent les archives


mai 2025

Qu'elles soient griffonnées dans un moment d'ennui, d'égarement ou de rêverie, ces figures antiques donnent lieu à des formes humaines ou animales que l'on retrouve dans de nombreux documents de nos fonds anciens. Pensez donc à la surprise du lecteur d'archives qui, au détour d'un feuillet de parchemin se retrouve en présence d'une figure animale incertaine surgissant de la marge du registre, tenant une trompette en sa bouche.
C'est là le piège qui guette le chercheur. À la manière du démon Titivillus qui soufflait des erreurs aux moines copistes, voilà un être qui créé la stupeur ou invite à la rêverie. L'étudiant, l'historien, perd alors le fil de sa pensée ou de sa lecture-transcription, le voilà qui divague, qui plonge dans les entrelacs de feuilles et d'ors, qui se perd dans les notes imaginaires soufflées par la trompe de la bête que l'on ne sait nommer.
Et puis, imaginez retrouver au coin ou au dos d'une page des traits plus légers et amusants représentant des effigies humaines farfelues dans des positions étranges, des doigts déformés et allongés pointant vers des extraits de statuts des corps de métier du 13e au 16e siècle, que des notaires ou des greffiers se sont amusés à griffonner. Ou encore, d'une manière plus élaborée, c'est dans ce cadastre du 17e siècle qu'un arpenteur-dessinateur orne ses lettres majuscules de figures ornithologiques. Avait-il une passion débordante pour les oiseaux ou s'ennuyait-il au point d'embellir ses lettrines ? Les oiseaux ont décidément le vent en poupe puisque quatre siècles plus tôt, ce jeune notaire (tout frais éclos de l'œuf) en avait choisi un pour signer ses actes officiels.
Et combien d'entre eux, pensant transcrire en toute sérénité cette lettre de rémission délivrée par Jean de Berry en 1357 auront d'abord à affronter un dragon à deux têtes qui les guette. Attention, nul ne saurait prédire s'il crache du feu de sa tête ou de sa tête-queue, voire deux côtés.
 
Un poème pour magnifier ces images retrouvées :
 

Dragon à deux têtes
Ou drôles d'humains
Au coin d'un parchemin
Ou sortis de leurs cachettes,
Sont à travers ces vers
Redécouverts.

Créature étrange
Au corps serpentin
Souffle et dérange
Ce vieux manuscrit
Qui, tout endormi
Se réveille enfin.
 
Au sein de ces lettres
Des petits êtres
Beaux oiseaux
Et long plumeaux
Qui tombés dans l'oubli
Ont quitté leur nid.
 
D'une majuscule
Naît un minuscule
Double personnage,
Un serpent
Qui nous surprend
jaillissant du coin de la page.

“Midas se lavant dans le Pactole”, huile sur toile par Nicolas Poussin, c. 1627. Metropolitan Museum of Art (MET), New York, inv. n° 71.56 (OA – public domain).

La fièvre des enfants déchus de Midas


avril 2025

La Garonne n'étant pas la rivière Pactole, les Toulousains qui souhaitaient obtenir de l'or ont été contraints de recourir à d'autres moyens pour s'en procurer, en barre ou en paillettes. Voici trois recettes distinctes essayées par nos aînés ; toutes tournant au fiasco, bien évidemment.

- l'alchimie 
En 1752, Guillaume Melhet et le nommé Cadet entreprennent de transformer le plomb en or et le fer en argent1. Jean d’Albaricy, ancien conseiller au parlement et féru de chimie, met à leur disposition son laboratoire. Une première tentative en mêlant du fer, de l'antimoine et du nitre échoue dans le creuset. Mais, peu de temps après, leur seconde tentative est couronnée de succès : ils obtiennent effectivement des lingots d'argent pur ! Victoire de courte durée puisque le sieur d’Albaricy se rend compte, mais un peu tard, que les deux escrocs ont profité de son hospitalité et de son matériel pour fondre de la vaisselle d'argent volée. 

- la magie ou divination 
En 1761, un neveu de grand Marc Arcis, lui aussi sculpteur, s’associe avec les nommés Barrère et Personne, l'un un peu sourcier, l'autre un peu sorcier. Ils approchent la veuve du président de Caulet et lui indiquent que son hôtel recèle un trésor, estimé à environ 900 000 livres. Celle-ci autorise Arcis et ses deux comparses à creuser dans sa cave, avec promesse de partage par moitié du pactole. Or, les recherches s’éternisent et, à défaut de filon, les ouvriers semblent surtout arriver à la nappe phréatique. Devant l'eau qui ne cesse de monter, les chercheurs de trésors en viennent à improviser un cérémonial afin de masquer l'humiliation de leur échec : ils « attachèrent un grand crucifix au pied d'une pompe qu'ils s'étoient procurés, et firent dessendre dans le trou qu'ils avoit fait creuser des enfants nuds, faisant semblant de lire un livre qu'ils appelloient "Agripa", exhorttant tout le monde qui travailloit à prier Dieu et que le diable alloit paroitre »2. En fin de compte la veuve de Caulet en est quitte pour une cave inondée et le trio Arcis-Barrère-Personne pour un procès qui, heureusement pour eux, va se terminer sur une simple admonestation par les capitouls. 

- la nécromancie 
En 1778 le quartier quasi-désert et alors viticole de Lalande aurait pu devenir un nouvel eldorado si tout avait fonctionné comme prévu. Pourtant, les protagonistes avaient minutieusement préparé leur cérémonie, rien ne manquait : une maison isolée louée à un boucher, une tête humaine que l'on était allé chercher à minuit, une casserole de terre, les cierges, la nappe noire et surtout ce petit livret tiré de la vraie nécromancie immanquable. On ne saura jamais ce qui a fait capoter cette entreprise (peut-être une erreur dans la cuisson de la tête), mais les participants ont visiblement été déçus car l'esprit invoqué (celui d'Etienne Chabrié3, l’infortuné "propriétaire" de la tête) n'a pas rapporté l’or escompté. De dépit, ils ont jeté la tête dans une vigne et sont retournés à leur anonymat, laissant toutefois le livret d’incantation, qui est désormais conservé aux Archives4

L'histoire ne dit pas si tous les malheureux escrocs, alchimistes, idéalistes (mais quand même matérialistes) ou expérimentalistes ont ensuite été méditer sur la malédiction du roi Midas ou bien sur la morale de la fable du laboureur et de ses enfants. 

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1 - FF 796/1, procédure # 011, du 29 janvier 1752.
2 - FF 805/7, procédure # 171, du 23 décembre 1761. 
3 – Etienne Chabrié avait été pendu peu auparavant. Sa tête ainsi disponible avant pu être collectée en toute discrétion aux fourches patibulaires où son corps était exposé « pour donner de la terreur aux méchants ».
4 - FF 822/7, procédure # 144, du 27 juillet 1778.

Livre des proxénètes, 1756-1790. Mairie de Toulouse, Archives municipales, HH 97, folio 1. Registre dans lequel sont enregistrées les prestations de serment des proxénètes devant les capitouls, jurant de faire leur métier en Dieu et conscience.

Catin, une femme hors du commun ?


mars 2025

Catin naît le 12 décembre 1737 et on lui donne les prénoms de Élisabeth-Catherine. Bien trop long, elle, gardera seulement Catherine, puis Catin.

De nos jours peu peuvent se targuer de connaître Catin. Aucune rue de la ville, aucun rond-point ou parc ne porte son nom, elle n'a pas eu les honneurs d'un tunnelier du métro, et son nom n'est pas inscrit en lettres d'or à l'entrée d’un amphi de l'université ou d'une salle d'audience du tribunal. Ça viendra peut-être.

Mais qui est donc Catin ?

Au travers des archives, on la suit épisodiquement jusqu'en l'An III du calendrier révolutionnaire. Une femme en apparence très ordinaire. D'abord couturière, elle va ensuite se spécialiser et exercer le métier de proxénète1. Là encore rien de remarquable direz-vous.

À l'âge de 21 ans elle tombe enceinte (notons qu'elle a su l'être 8 jours à peine après le premier rapport, ce n'est pas banal), mais Sabin, le galant qui lui avait promis mariage, s'enfuit le jour de la signature du contrat de mariage chez le notaire. La tuile ! Pourtant Catin ne baisse pas les bras et va aller de l'avant, elle élève seule sa fille (ce qui est rare à cette époque), et se marie avec un autre quelques années plus tard. Preuve que le statut de fille-mère n'est pas complètement rédhibitoire.

Nous aurions du mal à décrire Catin au physique (en 1779 où nous apprenons qu'elle est « une grosse femme »), il sera peut-être plus aisé de parler de ses qualités principales : Catin se distingue particulièrement par son verbe. Coloré voire ordurier lorsqu'il s'agit d'invectiver ou d'insulter, et d'un flot ininterrompu lorsqu'elle doit répondre devant les magistrats des actes à elle imputés. Ses mots sont quelquefois teintés d'un soupçon d'impertinence quand elle est interrogée, et saupoudrés d'un humour ou d'une malice qui doivent la rendre redoutable pour ses adversaires lors de joutes verbales. Nous l'entendons aussi chanter en une occasion, mais ceci n'est certainement pas pour les oreilles des enfants2.

Mais c'est en 1787, au détour d'une procédure de justice des capitouls que Catin apparaît en pleine lumière de façon surprenante. Là, elle est officiellement chargée du contrôle du corps des proxénètes, et c'est à ce titre qu'elle rédige ce qui reste – à ce jour – le premier procès-verbal dressé par une femme à Toulouse. Procès-verbal contre une revendeuse trouvée en fraude, sur lequel les capitouls vont s'appuyer afin de poursuivre la contrevenante. Le fait de pouvoir dresser un procès-verbal est une remarquable avancée et ce seul fait devrait permettre de (re)questionner la place des femmes dans le monde du travail et dans la société Toulousaine à la fin de l'Ancien Régime.

Pensez-donc, une femme qui dresse un procès-verbal ! On aurait vite fait de brandir Catin comme un drapeau, de l'élever en défenseuse des droits des femmes, de traiter d'égal à égal avec les hommes, voire de faire entendre sa voix et de briguer des places lors de la Révolution.

Non, Catin n'est pas féministe (le mot n'existe pas encore de toute façon), ne se mettra jamais au-devant de la scène. Ce qui finalement n'est pas plus mal car on frémit à ce qui aurait pu arriver si elle avait percé, particulièrement lorsqu'en prairial de l'An III on l'entend hurler depuis sa fenêtre « qu'il faut guillotiner tous les prêtres parce qu'ils sont la cause que le pain est si cher ». Certes, c'était dans l'air du temps. Mais le lendemain elle traite deux de ses voisines de « putin des prêtres » et annonce à l'une son intention « de lui ouvrir le ventre avec un couteau, la menaçant toujours de lui faire casser les bras par ses garçons ».

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1. Attention, à Toulouse sous l'Ancien Régime, une proxénète ne fournit pas les mêmes prestations que de nos jours ; il s’agit d’un métier fort honorable et surtout essentiel, entre la friperie et la trocante.
2. En 1778, elle chante à pleine voix une chanson « où il étoit question de coqu (sic) couyoul, cornard ».

"Een mislukt duel" [un duel raté-avorté]. Feuille avec douze scénettes légendées représentant Hannibal van Hazenburg qui parvient à éviter un duel avec le comte de Sabelslang. Lithographie en couleur par G. J. (monogramme), publiée chez Gordinne , Liège, entre 1984 et 1959. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-203.485 (détail d'une des vignettes).

Le soufflet, ce n’est pas que du vent


février 2025

Au sein de la multiplicité des agressions physiques, le soufflet tient le haut du pavé. Nous avons déjà recensé 208 cas dans les procédures criminelles des capitouls rien que pour la décennie 1760 et 1769. Certes, au regard des magistrats le soufflet reste généralement qualifié de simple voie de fait (et non pas d'excès), mais ce geste a aussi la capacité de porter une atteinte mortelle à l'honneur du récipiendaire, surtout lorsqu'il est donné en public.

Soufflets en famille
Un soir de juillet 1780, au vu de l'heure tarde, Jeanne-Roze Cruzel, cabaretière à l'île de Tounis refuse de servir du vin au nommé Lama. S'ensuivent des cris, des menaces et des insultes de la part du Lama fâché et frustré. Arrive le mari de Jeanne-Roze. Là, « entendant que sa femme était menacée des soufflets, [il] demanda avec empressement qui est-ce qui la menaçoit de soufflets ; et sa femme ayant fait quelque difficulté de lui dire de quoi il s'agissoit, en reçut elle-même un de son mari ». Cela fait, le mari déclare « que Lama étoit bien hardi de venir menacer sa femme de soufflet » et s'empresse de venger l'honneur de sa bien-aimée en fracassant une bouteille sur la tête de Lama1. Les épouses peuvent, elles-aussi, avoir la main leste à l'exemple de Louise Capblanc qui, « comme une furie, traita son mary de f... gueux, f... manan, luy donna des soufflets en luy disant, en jurant de se tenir sur ses gardes »2

Le droit et le soufflet 
En 1727, les jeunes Lavedan et Coste s'apprêtent à suivre une procession de pénitents en qualité de sacristains, mais une querelle avec des inconnus fait que le premier reçoit d'abord « un souflet à tour de bras, dont il tomba presque évanouy. Et sur le moment, le même homme donna deux souflets aussi de toute sa force, aud. Coste ». Leurs pères respectifs portent plainte devant la justice et n'omettent pas d'y préciser que les soufflets « sont les excès les plus graves que l'on puisse recevoir »3. Un soir d'août 1769, prenant le frais devant la porte de son logis le cuisinier Pradel, est hélé par son voisin Labonne qui le menace de soufflets et « de suitte, l'effait suivit la menace. Et non contant de luy avoir donné ce soufflait, sur les plaintes du supp[lian]t, led. Labonne luy en donna un second qui fut plus fort que le premier et luy dit que s'il resonnoit il redoubleroit la doze ». Dans sa plainte le souffleté va rappeler aux magistrats qu'il lui importe « de faire punir led. Labonne suivant la rig[u]eur des loix et que les soufflaits méritent punition exemplaire »4. Sentiment partagé par Jacques Jougla, lui aussi souffleté quelques années plus tôt, qui rappelle dans sa plainte « qu'il n'y a rien dans le monde de si flétrissant qu'un soufflet et qu'une telle insulte ne sauroit être trop punie puisque du temps des Romains un homme qui donnoit un soufflet à un autre étoit puny de mort »5.

La force du soufflet
La demoiselle Bonnet et la demoiselle Baylac étaient amies. Las, c'est bien fini et leur rencontre en mars 1777 tourne au règlement de comptes lorsque la première, « par derrière et par le coup le plus traître, elle donna [...] un soufflet du revers de la main sy fort qu'elle luy fit seigner la bouche », tellement que la Bonnet se vantera « que la main lui faisoit encore mal tant elle avoit donné le soufflet fort »6. Cette même année, le cordonnier Poiriès n'y va pas de main morte, puisqu'après avoir appliqué deux soufflets à Roze Gironis, un témoin indique que celle-ci « avoit ses joues rouges comme du feu, et le déposant aperçeut sur ses dites joues les empr[e]intes des doigts »7.
 
Mortel le soufflet ?
En septembre 1761, par trop de curiosité, Joseph Tremouil reçoit un soufflet si violent qu'il en « tomba à terre couvert de son sang, sans parolle ni mouvement, et qu'il fut regardé pendant quatre ou cinq heures comme un agonisant ». Que l'on se rassure, il va mieux8
En revanche, Mathieu Codaute n'a pas eu cette chance. En juillet un seul soufflet, un « rude soufflet » selon certains témoins (mais ils se rétracteront, « ne sachant pas s'il fut rude ou pas ») et voilà Codaute qui tient le lit pendant un mois et demi avant de rendre son dernier souffle. Ça vous surprend ? Découvrez toute l'affaire sur le module Meurtres à la carte d'Urbanhist.

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1. FF 824/6, procédure # 106, du 31 juillet 1780.
2. FF 818/4, procédure # 073, du 8 juin 1774.
3. FF 771/1, procédure # 033, du 14 juin 1727.
4. FF 813/6, procédure # 142, du 4 août 1769.
5. FF 809/4, procédure # 070, du 17 mai 1765.
6. FF 821/2, procédure # 040, du 13 mars 1777.
7. FF 821/5, procédure # 105, du 16 juin 1777.
8. FF 805/5, procédure # 150, du 27 septembre 1761.

Exécution de Hans Spiess, condamné à être roué vif pour le meurtre de sa femme, 1503. Enluminure de la Chronique de Diebold Schilling, 1513. Korporation Luzern, ms. S-23-fol, p. 439 (détail).

La roue de l’infortune


janvier 2025

La roue. Voilà un supplice oublié qui, pour ceux peu familiers avec la chose, laisserait presque à penser qu'il comprend une certaine part de hasard, comme si une fois ou un tour sur deux, sur trois, quatre… le condamné pouvait tomber sur un numéro chanceux et ainsi s'en sortir.
Que nenni, la roue, organe du bras armé de la Justice, n'est pas la roue de la fortune, ni la roulette russe, encore moins tournez manège, loin s'en faut.
D'ailleurs, la plupart du temps elle n'est pas une roue du tout. Ah ? Mais alors, comment fonctionne la roue si ce n'en est pas une ?

Bien, à Toulouse – et ailleurs dans les bonnes villes du royaume –, le condamné1 se voit attaché les bras et jambes écartés sur une croix de saint André posée au sol ou sur une estrade. Là, l'exécuteur de la haute justice va d'abord le rouer de coups avec une barre de métal. Mais, attention, pas n'importe comment, car c'est un travail de professionnel. Il faut donner un certain nombre de coups sur des parties bien précises du corps du malheureux afin de lui briser les membres, tout en lui garantissant la vie (pour le moment). Une fois cela achevé, le bourreau va détacher son patient pour installer le moribond à la vue de tous, sur une roue présentée à l'horizontale et fixée sur un axe. Et voilà enfin la roue. Là, notre condamné va agoniser jusqu'à son dernier souffle, et ça peut durer très longtemps2. Mais dans sa grande bénévolence, la Justice peut quelquefois signifier un retentum, c'est-à-dire un ordre secret, connu du seul bourreau, qui pourra ainsi mettre fin aux souffrances du condamné en l'étranglant discrètement. Le retentum précise quand opérer ce geste, quelquefois avant même de briser les membres ou bien généralement après deux heures d'exposition sur la roue, comme ce fut le cas pour Jean Calas.

On oublie que le supplice de la roue peut aussi être une tâche périlleuse pour le bourreau. Citons par exemple l'exécuteur de la ville, Mathieu Bouyrou, qui faillit perdre la vie le 9 mars 1745. Après avoir cassé les jambes et les bras de son client « et l'avoir mis sur la roue, luy-même s'étant mis sur le prévenu pour l'attacher, le bouton de la roue qui étoit pourri s'étant ouvert tout à coup, la roue tombant à terre, entraîna par sa chute le bourreau et le prévenu sur le pavé. L'exécuteur se démit le bras »3. En 1769, Varenne fils, « bourreau bouillant, jeune et sanguinaire »4 rate totalement sa première exécution publique et bâcle le travail en écrasant le visage du patient au lieu de lui briser le bras gauche. Évidemment « le murmure fut général dans la place, tout le monde fut indigné d'un coup aussy peu réfléchi, et les messieurs fâchés autant qu'on peut l'être firent mettre ce bourreau en prison après l'avoir réprimandé comme il le méritait, avec déffense de ne plus y retomber ». Or, l'on sait que Varennes fils, déjà en roue libre dès son jeune âge, choisira bientôt la voie du crime et finira mal. Pour le bourreau aussi la roue tourne.

Finissons en évoquant les inconditionnels de la roue que sont indéniablement nos cousins les Germains et nos voisins les Helvètes ; eux préféraient utiliser la roue comme instrument de battage, ce qui était drôlement fort et qui demandait à leurs exécuteurs une habileté hors du commun comme l'illustration ci-contre le démontre.

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1 - Cette peine est exclusivement réservée aux hommes ; elle est généralement décidée pour ceux qui ont commis des crimes aux circonstances considérées comme particulièrement ignobles.
2 - À notre connaissance le record de « longévité » est tenu par un condamné supplicié à Paris : 48 heures avant son dernier râle ou soupir.
3 - Mémoires manuscrites de Pierre Barthès ; 9 mars 1745 : « Exécution terrible et cas extraordinaire ». B.M.T., Ms. 699, p. 185-186.
4 - Mémoires manuscrites de Pierre Barthès ; 31 juillet 1769 : « Homme rompu vif ». B.M.T., Ms. 704, p. 109-110.

[squelette agenouillé] Gravure de/ ou d'après Jacques Gamelin. Planche extraite du "Nouveau recueil d'ostéologie et de myologie, dessiné d'après nature", publié à Toulouse chez Desclassan, 1779. Wellcome Collection, London, inv. n° 569733i.

Du commun au sacrum


décembre 2024

Pas pire ou probablement pas mieux que nous, nos aïeux avaient tous en eux quelque chose de sacré. Quand on y touchait il risquait d'y avoir un os, et cela pouvait faire bien mal, gêner, voire empêcher tout mouvement.
Avec l'os sacrum, nous touchons en effet le sanctum sanctorum. Voyez Bertrand Sentous, racher de son état, ou radger (bref, il est radelier), basé au port Garaud. Et ce matin du 8 août 1710, il y a bagarre. Un coup d'arpette sur les reins lui laisse une vilaine « equimose ou contusion sur la vertèbre supérieure de l'os sacrum, de la largeur de deux travers de doit »1. Et le chirurgien qui le soigne de déclarer que la « susdite blesseure empeschant la souplesse des muscles[s] des lombes, ce qui peut empescher aussi le blessé de ce courber pour travailler jusqu'à la dissolution du sang épanché(s) ». En d'autres termes, Bertrand est au repos forcé pour huit jours.
En 1755, Raymonde Aubaret, veuve d'un sculpteur a des mots avec un colocataire. De verbe au geste il n'y a qu'un pas et elle reçoit un coup qui l'étend au sol. Le chirurgien qui vient la voir note qu'elle se plaint « d'une grande douleur à l'extrémité inférieure de l'épine, vers l'os sacrom »2 ; après l'avoir examinée, il lui trouve « une rougeur qui n'étoit pas bien considérable ». Cependant, ajoute-t-il, « elle ne pouvoir pas supporter que j'y touchasse sans ressantir de vives douleurs ». Cinq ans plus tard, c'est Simon Prohenque qui se fait ausculter après une rixe. Le chirurgien trouve « une contusion de la grandeur de la paulme de l[a] main sur l'os sacrom »3, le saigne illico et estime que le patient pourra être guéri « dans quizaine, sauf autres accidents qui pouroit ce déclarer, jusqu'au soisentième jour ». Il est vrai qu'outre le sacrum, Prohenques a aussi été cabossé à la tête. 

Et ceux qui ont pris de la hauteur et qui ne s'intéressent guère au commun des mortels, pourront se délecter à la lecture de la « Description des ossemens du glorieux St Emond, martir, roy d'Engleterre, qui feurent tr[o]uvés dans son sépulchre à la voûte des corps saincts de l'église St Sernin le 16e juillet 1644 »4. La chronique des Annales manuscrites des capitouls y consacre quelques pages5. Nous livrons le squelette en l'état afin que les sceptiques puissent s'assurer qu'il n'y a pas eu mélange ou fraude avec un côte ou un fémur de trop.

De toute façon, l'important pour nous aujourd'hui est de retrouver le sacrum :
- la teste toute entière avec trois dents de la mâchoire supérieure,
- la mâchoiere inférieure avec sept dents,
- cinquante pièces des costes, faisans les vingt-quatre,
- la partie supérieure de l'os sternum,
- autre grande pièce de l'os esternum,
- deux clavicules,
- l'os sacrum,
- les deux os cleon avec le pubis,
- six pièces d'os faisans les homoplates,
- deux os dits humérus,
- un os de l'avant-bras dit cubitus, quasi entier,
- autre os dit cubitus, d'un demi-pied de long,
- un os dit radieus, coupé,
- huit os des métacarpes, 
- trante os des phalanges des doits des deux mains,
- les deux os des cuisses, dits fémurs, 
- les deux os des jambes, dits fémurs, 
- les deux os des jambes dits tibias 
- les deux autres os des jambes, dits rayons ou peronné ou fibula,
- les deux os dits rotula, ou pateles des genous,
- quatorse os des tarsses de deux pieds, sçavoier deux caléanes, deux caboïdes, deux astragales, deux naviculaires, et les six anonimes,
- dix os aussy anonimes,
- vingt huit os des phalanges des orteils.

À y être, on en profita aussi pour faire l'inventaire d'autres reliques. Ainsi parmi les ossements de saint Symphorien et saint Castor, se trouve « l'os sacrum avec le coccis » ; nous ne saurons précisément auquel des deux saints cet os fondamental appartenait. Plus compliqué encore, la caisse qui contenait les saints Clavele, Nicostrat et Simplicien : là, pêle-mêle dans un monceau d'osselets, gisent un os sacrum entier, les fragments d'un autre, et enfin un troisième en quatre morceaux.
Ceux qui voudraient invoquer tel saint en particulier risquent de tomber sur un os ; ils ont une chance sur deux, voire sur trois, d'invoquer le bon sacrum.

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1. FF 754/3, procédure # 039, du 8 août 1710.
2. FF 799/4, procédure # 124, du 28 juin 1755.
3. FF 804/1, procédure # 018, du 28 janvier 1760.
4. L'élévation de ses reliques avait été décidée 14 ans plus tôt, alors que le corps de ville avait invoqué l'assistance dudit Saint-Edmond afin de sauver la ville ravagée par la peste ; cela a donné lieu à de grandioses célébrations narrées par le menu dans la chronique de cette année 1644.
5. BB 279, chronique 316, année 1644, p. 376-377.

Écu of six livres, frappé à la monnaie de Limoges. Avers, avec le profil du roi Louis XVI, roi des Français. Argent (diam. 3,9 cm × poids 29,35 gr.), 1792. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° KOG-MP-1-3287.

... un travail qui se fait dans le feutré


novembre 2024

« Le faux talbin, messieurs, est un travail qui se fait dans le feutré » annonce Jean Gabin dans Le cave se rebiffe.
Nous saisissons cette citation au vol pour aborder ici le délicat sujet de la fausse monnaie. Les archives de la justice des capitouls nous livrent en effet quelques affaires çà et là tout au long du 18e siècle, parmi lesquelles nous nous limiterons aujourd’hui à deux particulières en 1784.
Le but du jeu étant de faire passer de fausses pièces pour des vraies, tous les moyens sont bons. Il est difficile d’estimer le nombre de naïfs qui se font ainsi tromper. 

Dans le courant du mois d’avril1, Catherine, à qui l’on a présenté un faux écu de six livres pour l’achat d’un saucisson, remet sans se méfier le saucisson à l’acheteur et lui rend la monnaie, c’est à dire « un écu de trois livres et quarante-deux sols de monoye » (vous avez fait le calcul, le saucisson se monte à 18 sols). Bernée, elle explique aux magistrats que jamais elle n’aurait pu réaliser qu’il s’agissait d’un écu faux « attendu qu'elle est d'un âge avancé et qu'elle a mal aux yeux, mais elle reconnetroit le saussisson », c’est déjà ça.
Mais, me direz-vous, quand on n’a pas la vue, on a l’ouïe.
Effectivement, en novembre de même année2, Pierre Bouzigues examine un écu de six francs « et, ayant remarqué qu'il n'y avoit point de cordonet autour, il le laissa tomber sur le comptoir sans qu'il rendit d'autre son que celui d'un écu fendu » ; celui qui le lui présente insiste et assure que la pièce est bonne, Pierre lui rétorque : « Laissès-le tomber sur le pavé », ce que l’autre se refuse à faire et repart avec la pièce litigieuse, qu’il arrive finalement à changer dans une autre boutique, « quoi qu'il n'eut pas un bon son ».
Et si la vue ou l’ouïe font défaut, il reste encore le toucher. C’est ainsi que Jean-Pierre est alerté car il trouve « cet écu plus doux au tact que ne sont ordinairement les écus », il le frotte alors « avec son doigt et il s'aperçut que son doigt se chargeoit d'une crasse noire ».
François à qui l’on présente des pièces de même facture les reconnaît fausses « au seul tac », mais lui est doté d’un autre sens supra développé puisqu’il assure encore que l’odeur de l’écu le met en alerte. Là, on aimerait qu’il nous explique, puisque tout le monde sait que l’argent n’a pas d’odeur.
Bref, si vous avez bien suivi, il manque encore un des cinq sens à l’appel, visiblement personne n’a songé à léchouiller un écu en cette année 1784 afin de savoir s’il était vrai ou faux. 

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1. FF 828/3, procédure # 051, du 28 avril 1784.
2. FF 828/8, procédure # 156, du 9 novembre 1784.

Le double meurtre de la place Armand Leygues ; policiers sortant le corps d’une des victimes. Cliché André Cros, nuit du 18 au 19 décembre 1972. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi1187.

Deux morts pour un seul corps


octobre 2024

L’édition 2024 du festival Toulouse Polars du Sud vient de s’achever. Les Archives de Toulouse, associées à cet événement, ont proposé cinq ateliers successifs (aux trois initialement programmés, nous en avons rajouté deux supplémentaires à la hâte) où plus de 100 personnes se sont inscrites afin de venir se pencher sur les archives d’une étrange procédure criminelle des capitouls remontant à janvier 1733. 

Tout commence par la découverte du corps d’un inconnu sous le pont de Tournefeuille. Après une autopsie dans les règles, il s’avère que l’homme a d’abord été frappé de plusieurs bourrades (coups de crosse) au visage, puis tué d’un coup d’arme à feu. Exposé sur la pierre morne de l’hôtel de ville, il est rapidement identifié le jour-même. Il s’agit indéniablement « du nommé Pierrot, cy-devant vollaille[r] de proffession, habitant au mazague de Naugé en Gascoigne, près du village ou marquisat de S[ain]t-André ».
Sauf que voilà, le lendemain, d’autres personnes identifient formellement le corps comme étant celui « de feu Raymond, voiturier, habitant du lieu de Lhaas en Gascoigne ».
Les capitouls, interloqués par la double personnalité du cadavre, décident d’envoyer un de leurs assesseurs en Gascogne, à la recherche d’indices permettant de trancher quant à l’identité de ce corps, décidément bien dérangeant. En passant par Colomiers, Léguevin, Pujaudran, le magistrat s’enquiert d’une éventuelle disparition en donnant le signalement du maintenant fameux Raymond et Pierrot. À Auradé, il a un coup au cœur car on lui annonce qu’un certain Kéron aurait été assassiné à Toulouse ledit jour. Fausse alerte, Kéron se présente, il est toujours vivant.
Poussant plus avant dans la Gascogne profonde, le magistrat questionne inlassablement les consuls des communautés traversées.
C’est enfin à Lahas qu’il obtient des réponses. Ici, quelqu’un manque effectivement à l’appel. Mais est-ce Raymond ou Pierrot ?
« Hé bien », lui dit-on, « Pierrot ou Raymond c’est pareil ! » Pour les locaux, l’homme mort s’appelait Raymond, mais on le nommait plutôt Pierrot, comme son père. Oui, il est bien natif de Lahas, mais il réside à Naugé depuis son mariage. Une évidence gasconne qui a certainement déstabilisé un tantinet notre homme de justice toulousain.
Mais l’important étant là ; on a enfin la certitude sur le mort, mission accomplie. Il ne reste plus à l’assesseur qu’à rendre visite à la veuve, une simple formalité.
Sauf que là... Bref, vous comprendrez qu’il y a à nouveau un hic, et que la double vie (ou double mort) de Pierrot-Raymond va offrir de nouvelles surprises au magistrat. 

Passeport délivré à Rennes en faveur d'Aimé Chapotin, lapidaire de son état, natif de la paroisse de Saint-Pierre de Chablis. Mairie de Toulouse - Archives municipales, FF 785/6, procédure # 165, du 23 septembre 1741.

Passeport pour l’aventure


septembre 2024

Où que l’on aille dans le royaume, il est souhaitable d’avoir sur soi des papiers, et pas n’importe lesquels. Des certificats de bonne vies et mœurs peuvent faire l’affaire, mais on préfère des passeports. Pour les anciens galériens, on se contentera de regarder leur certificat de congé1.
Ainsi, que l’on vienne de Paimpol ou bien de Mazamet, voire de Blagnac, on doit s’attendre à ce que les capitouls exigent qu’on leur exhibe ces documents, particulièrement s’il l’on est un peu vagabond, ou simplement d’allure suspecte.
Aimé Chapotin est natif de Paris. Après quelques soucis avec la justice toulousaine en 1739, il prend sagement le parti de se faire oublier et de retourner sur les routes de France. Le 17 mars 1741, il en prend un à Caen, avant d’en obtenir un nouveau à Rennes (voir illustration ci-contre) le 7 avril, afin de se rendre en Provence. Il complète sa collection en juillet alors qu’il obtient du vice-légat du pape un dernier passeport à Avignon avant d’en ajouter un nouveau à sa collection. Il n’a visiblement pas le temps de compléter sa collection, et pour cause, l’homme est pressé: le 23 septembre 1741, à peine arrive-t-il à Toulouse qu’il lui prend l’envie saugrenue de marcher droit à la Garonne, d’y patauger jusqu’à s’y enfoncer à mi-corps et puis, tant qu’à y être de s’y noyer, non sans prononcer au préalable une dernière phrase : « Mon Dieu il y a bien de l'eau icy »2. Son corps sans vie est ramené sur la berge le lendemain et, rassurez-vous, les trois passeports serrés dans ses poches n’ont pas pris l’eau. Nous les conservons précieusement3.
Ils ne sont pas les seuls puisque les archives de la justice des capitouls offrent à voir une belle collection de passeports délivrés des quatre coins du royaume, et voire d'Espagne ou encore de Sardaigne (via le consul à Marseille) (lien sur le passeport de Barcelone). Les raisons pour lesquelles ils ont été gardés dans les pièces des procès ne sont pas toujours faciles à déterminer. Pour certains on sait que la route s’est brutalement arrêtée là (pendaison, envoi aux galères, etc.). Pour d’autres, on peut estimer que les capitouls leur auront remis un passeport tout neuf afin qu’ils quittent la ville et pour aller se faire pendre ailleurs.

Il serait logique que les Archives de Toulouse ne conservent aucun passeport délivré par les capitouls, mais nous avons eu le bonheur de découvrir celui d’Antoine Rivière en 1776 ; bonheur qu’il n’a certainement pas été partagé, puisque ledit Rivière se l’est fait subtiliser et qu’il a été retrouvé sur le voleur.
Les comptes de l’imprimeur de la ville font état du nombre de passeports commandés chaque année par les capitouls ; ce sont environ 500 pièces qui sont livrées à l’administration municipale pour être octroyées à ceux qui souhaitent prendre la route en toute légalité (ou tranquillité).

Pour ceux curieux d’en savoir plus sur les passeports, certificat de bonne vie et mœurs ou autres titres de circulation, un atelier Au fil des chroniques des capitouls y sera entièrement consacré le 23 novembre ; mais si vous étiez vraiment pressés, venez-donc à la session du 26 octobre où nous traiterons des épidémies de peste, ce qui nous conduira naturellement à évoquer la question des sauf-conduits.

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1 - Oui, de nos jours, le nom donné à ce document semble un peu ironique.
2 - Phrase qui, si elle avait été médiatisée à temps aurait pu devenir historique, et n’aurait pas manqué de faire pâlir d’envie le maréchal-président Mac-Mahon qui, lui, s’est contenté de passer à la postérité en prononçant face à la Garonne en 1775 : « Que d’eau, que d’eau ».
3 - FF 785, procédure # 165, du 23 septembre 1741.

[la jeune femme à la tabatière]. Gravure de Bernard Picard, 1715. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-51.367.

En poudre c’est tout aussi nul


juillet-août 2024

Nous avions précédemment discouru sur le tabac et les risques mortels qu'il entraîne chez ceux qui fument négligemment la pipe dans les cabarets (voir Arcanes de juin 2020). Certes, on pourrait toujours nous opposer que l'affaire d'avril 1781 que nous donnions alors pour illustrer ce propos, était extrême et unique, d'autant plus que depuis le décret du 15 novembre 2006 interdisant de fumer dans les lieux publics, les pouvoirs publics y ont mis bon ordre. Mais le législateur, en bannissant cigares, cigarettes et pipes, n'a pas cru nécessaire de se pencher sur un mode particulier de consommation du tabac, celui qui consiste à priser. 

Or, malgré ce que Molière a pu faire dire à Sganarelle dans la scène 1 du premier acte de Don Juan ou le Festin de Pierre (voir citation complète en bas de l'illustration), ce tabagisme-là nuit aussi gravement à la santé… Mais, peut-être pas toujours de la façon dont on se l'imagine. 

Sous l'Ancien Régime, la fureur du tabac touche bien évidemment aussi les femmes. Marie Bonnet, qui ne répugne pas à priser, aurait pu gagner quelques années de vie supplémentaire et ainsi profiter pleinement de son veuvage puisqu'elle se fait subtiliser sa tabatière en argent au sortir de la messe un jour de février 1735. Las, celle-ci est retrouvée (et le voleur avec), et Marie pourra à nouveau s'adonner à son vice et s'en mettre plein le nez1. Quarante ans plus tard, en 1775, on trouve Toinette Menville qui, à l'île de Tounis, offre des prises à qui veut ; Jeanne Boué ne se fait pas prier et, béate, elle s'en barbouille les naseaux. Sauf que la générosité de la Menville masque un tout autre dessein. Discrètement elle profite de l'extase de Jeanne pour saupoudrer de tabac les bacs où se tortillent ses vers à soie, ainsi que les tas de feuilles de mûrier que cette dernière revend. Geste délibéré « quy a occasionné une prompte mort de grande partie desdits vers à soye »2 de l'élevage.

En juillet 1756, Jean Sales, négociant du lieu de Verfeil, se fait accoster sur le grand chemin en arrivant à Toulouse ; l'inconnu lui demande une prise de tabac. Trop confiant, Sales s'apprête à présenter sa tabatière à l'homme, mais c'est alors que des complices cachés surgissent et détroussent le malheureux, le délestant ainsi de sa perruque, de sa « tabatière de carton où il y a pour devise un capucin qui sort de sa grotte, donnant la main à une demoiselle ayant derrière elle une figure qui luy tient un parasol sur la teste »3, et surtout de son portemanteau chargé de deux sacs contenant la coquette somme de 1 374 livres. Sales retournera sur les lieux le lendemain. Certes, il y retrouvera sa perruque et un étrier, mais il aura la douleur de voir tout son tabac répandu à terre.

Il a fallu attendre la fin du 20e siècle pour que les autorités nous apprennent que le tabac et le vin ne font pas bon ménage ; pourtant on le savait déjà depuis 1778 au moins, car l’association des deux donna lieu à de mémorables vomissements au nommé Léger lorsque le mélange fut fait à son insu4, ou encore à cette rixe sanglante dans un cabaret à Lardenne trois ans plus tard : certains des protagonistes ayant mis par deux fois du tabac dans le gobelet de vin de Bernard Cayrole5.

Les risques liés au tabac à priser se présentent quelquefois de manière plus détournée. Ainsi, en 1735, Marie-Anne Bourgella qui fait profession de fournir du tabac en poudre pour alimenter le marché toulousain, commande un moulin à râper le tabac au maître tourneur Marin Baby6. Celui-ci lui vante les performances de l'objet permettant, assure-t-il, de râper deux carottes de tabac de deux livres chacune en moins de trois heures. Or, après plusieurs essais, Marie-Anne doit se rendre à l'évidence, le moulin ne peut râper qu'une livre en trois heures. Rapportant ledit moulin à son concepteur, elle en est pour ses frais : celui-ci l'agresse violemment et elle doit s'enfuir le visage en sang.

Enfin pour Pierre Ferré qui, visiblement, prisait un peu trop le tabac, cette addiction fut fatale. Après avoir dévalisé la boutique de la buraliste de la place Royale une nuit d’avril 1764, il se fait pincer avec un pochon rempli de « deux boettes ou tabagies de fer blanc remplies de tabac rappé, une paire de petites balances avec un demy marc, un grand pot de terre vernissé en jaune couvert d'un parchemin, rempli de tabac rappé » et encore « trois parchemins servant à froisser le tabac » ; condamné aux galères par les capitouls, le parlement cassera le jugement en appel et l'enverra priser les pissenlits par la racine via la potence. 

Voilà, après avoir passé en revue les risques du tabac, d'abord celui inhalé en combustion, puis aujourd'hui celui reniflé en poudre, attendez-vous à ce que nous abordions un jour le cas du tabac à chiquer.

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1. FF 779/1, procédure # 024, du 22 février 1735. « une tabatière d'argent, fabrique de Paris, à façon de coquille, ayant au-dessus une devise qui est deux paquets de flèches, un cœur enflammé et deux tourterelles ».
2. FF 819/5, procédure # 108, du 16 juin 1775.
3. FF 800/5, procédure # 187, du 15 juillet 1756.
4. FF 822/9, procédure # 207, du 28 octobre 1778.
5. FF 825/1, procédure # 023, du 8 février 1781.
6. FF 779/2, procédure # 045, du 21 avril 1735.
7. FF 808/3, procédure # 046, du 2 avril 1764.

De nachtwacht [la ronde de nuit]. Gravure de Lambertus Antonius Claessens (1797), d'après le tableau de Rembrandt van Rijn. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-1883-A-7355.

Ronde de nuit


juin 2024

4 000, c'est à peu près le total des procès-verbaux des rondes de nuit effectuées par le guet soigneusement couchés dans de fort volumes de la série justice et police entre le 16 juin 1539 et le 4 septembre 1649. Bien entendu nous ne nous sommes pas amusés à en faire le compte exact.

À chacune de ces sorties, l'on a renseigné le nom des soldats du guet présents (voire de capitouls qui n'hésitent pas à payer de sa personne), l'heure de départ de l'hôtel de ville, le parcours suivi ce soir-là (il change tous les jours), les lieux où l'on fit « escoute »1 et puis, bien évidemment, les faits notables s'il y a lieu : courses poursuites, arrestations, découvertes de corps plus ou moins inertes (il y a ceux ivres-morts et ceux bien morts), « ressercs »2, descentes dans des cabarets ou des maisons particulières, jusqu'à quelquefois la narration – penaude – d'une retraite précipitée du guet sous une grêle de pierres et son retour sans tambour ni trompette au corps de garde de l'hôtel de ville.

Les registres de rondes du guet, soigneusement tenu par des notaires de permanence, recèlent des richesses rarement exploitées par les chercheurs3 et leur récente numérisation intégrale devrait permettre à tous de s'en emparer et de se plonger dans un siècle de rondes endiablées.

Alors, n'hésitez plus, entrez dans la ronde de nuit.

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1. La troupe s'arrête, se fond dans la pénombre, retient son souffle, écoute et attend, une sorte de guet-apens mais du côté de la loi et de l'ordre.
2. Perquisitions.
3. Par exemple, ils ont été utilisés comme source complémentaire à l'appui d'une recherche sur le ressenti climatique – en effet, les soirs de grêle ou de grand'pluie sont évidemment indiqués pour justifier que la troupe reste sagement à l'abri des colères du vent.

[le cygne menacé], huile sur toile de Jan Asselijn, vers 1650. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° SK-A-4.

Qui fait la loi du collège de Foix ?


mai 2024

Lorsque Françon va s’occuper de ses oies parquées dans le collège de Foix, cela fait généralement des étincelles.

On sait qu'elle a déjà eu des mots avec le nommé Foich, l’un des collégiats, qu'elle aurait copieusement insulté. Et le 18 décembre 1745, alors qu'elle vient pour panser ses oies et leur puiser de l'eau au puits dudit collège, la voilà hélée depuis une fenêtre par le nommé Laroture, aussi collégiat, qui l'enjoint à déguerpir. Mais Françon qui n’est pas une oie blanche, n'a cure des injonctions de l’étudiant ; elle lui répond vertement.
Ce dernier, quitte la fenêtre et descend rapidement de sa chambre afin de chasser l'impudente. Par deux fois il la secoue et finit par la jeter à terre, d’abord dans le jardin, puis dans la cuisine du collège où se poursuit la rixe.
Mais Françon ne va passe se laisser dicter la loi d'un jeune blanc-bec ; elle se relève, lance des coups de poings sur la poitrine de Laroture et lui assène même des coups au visage avec sa capote. Pour faire face à cette grêle de coups, le jeune coq va se saisir d'une bûche ou d'une barre pour enfin corriger Françon. Erreur, cette dernière bondit jusqu'à l'âtre de la cuisine, et la voilà maintenant armée d'un tison ardent qu'elle porte au visage de Laroture...
Comme dans la plupart des rixes, des âmes charitables viendront s'interposer et mettre fin au combat avant qu’il ne dégénère ; chacun se retirera finalement plus furibond que mal en point.

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Sources : FF 789/7, procédures # 159 et # 160, toutes deux du 18 décembre 1745.

[Fou, ou possédé, cabriolant sur son lit]. Gravure anonyme, vers 1659. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-81.862.

… à dormir debout


avril 2024

Dans l'inépuisable fonds d'archives des affaires criminelles des capitouls, nombre de situations décrites, tant par les plaignants que les témoins, nombre d'excuses fournies par les accusés, donnent quelquefois matière à de véritables histoires à dormir debout sorties tout droit de l'imagination des uns et des autres.
Les plus flagrantes se trouvent dans les plaintes pour cas (supposés) d'adultère. Là, les plaintes portées par les maris1 donnent déjà le ton : invariablement leurs épouses volages se prostituent outrageusement, dilapident les biens du foyer et, pour la bonne mesure, s'arment de poignards, de pistolets et de poison afin se débarrasser de ces maris gênants. Tout ceci n'est que rhétorique attendue, bien loin de la réalité et, finalement, assez peu efficace.
Lors du procès fait à Honorée C. en 1772 ; la plainte portée par Joseph Dardene, son mari, est en tout point conforme à cette norme, si ce n'est qu'en plus l'épouse, un temps enfermée au couvent du Refuge2, s'en est évadée « par le secours de ses draps et de quelques personnes inconnues qui lui tinrent la main pour cet effet »3.

Mais le meilleur reste à venir : en effet, les témoins soigneusement choisis par les plaignants, s'en donnent à cœur-joie. C'est à qui inventera avoir assisté aux scènes les plus scabreuses, presque orgiaques. La chose est d'autant plus perceptible lorsqu'il s'agit de jeunes témoins qui, quelquefois peu au fait des choses de l'amour, s'ingénient à inventer des situations qui défient les lois de la mécanique des corps et de la gravité.
Nous vous en ferons grâce ici, nous bornant au seul cas de mademoiselle de L, fille d'un conseiller au parlement, et épouse de monsieur de P., substitut du procureur général au parlement4.
En 1741, après avoir quitté son mari pour la deuxième ou troisième fois dans l'année, supposément pour rejoindre un comédien, elle aurait vidé les armoires de la maison conjugale. Jusque là, tout reste plausible. Et voilà que les témoins viennent déposer. Ils se complaisent à lui attribuer une troupe entière de galants, mais cela reste timide, on ne leur rien vu faire ensemble. Voilà qui est gênant dans un tel procès. Heureusement pour monsieur de P., la déposition de Jeanne G. vient à point : selon elle, mademoiselle de L. serait enceinte du fameux comédien, mieux, ils auraient fait cela au nez et à la barbe du mari alors qu'il dormait profondément. Et puis vient le pompon : « elle avoit toujours eu des galans depuis l'âge d'onze ans , auquel tems elle étoit penssionnaire à Grenade. Que pour sortir du couvent elle se frottoit les bras et les mains avec des orties pour se faire venir du mal, dizant à la suppérieure du couvent qu'elle avoit la gale et qu'elle avoit besoin de s'aler baigner ».
D'autres témoins, plus timides pourtant, évoquent qui un escalier dérobé, qui une porte condamnée que l'on fait rouvrir, qui un déguisement d'amazone ; bref, nous sommes littéralement transportés dans un roman ; à tel point que l'on pourrait presque imaginer que ces témoins ont lu l'Histoire de dom B…, ouvrage licencieux précisément édité en cette même année 1741.
Trois siècles plus tard, nous ne pouvons qu'être fascinés par ces contes souvent immoraux, mais qui finalement portent en eux une morale : le mensonge exagéré ne paie pas, puisque quasiment aucun de ces maris n'arrivera à obtenir gain de cause devant les capitouls ; pire certains se voient ensuite poursuivis pour diffamation et subornation de témoins.

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1. Les femmes ne peuvent pas poursuivre leurs époux sur ce chef d'accusation.
2. Lieu de « pénitence » pour les femmes mariées.
3. A.M.T., FF 816/2, procédure # 026, du 23 février 1772.
4. A.M.T., FF 785/3, procédure # 062, du 2 mai 1741.

Parapluie. Facture néerlandaise. Vers 1770-1780, avec restauration visible d'éléments vers 1890-1910. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° BK-1967-92.

Il fait un temps de...


mars 2024

Nos fonds d'archives n’ont jusqu'à présent révélé aucun grand cataclysme comparable à cette pluie et invasion de grenouilles évoquée parmi les dix plaies d'Égypte ; mais on y trouve toutefois au fil des chroniques des capitouls nombre d'événements climatiques extrêmes qui ont frappé leurs contemporains."Pluviôse" - série des mois du calendrier républicain. gravure de Salvatore Tresca, d'après une oeuvre de Louis Lafitte, vers 1792-1794. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-2017-6023-5.
À Toulouse comme ailleurs, les chercheurs ont su mettre en évidence les grands cataclysmes, les dérangements du temps comme les cycles réguliers du climat. Cette histoire globale, qui a su mobiliser historiens et scientifiques les plus divers, a suscité depuis une quinzaine d’années un formidable écho dans nos préoccupations actuelles.
Mais il reste encore tout un pan à explorer, cette fois à une échelle microscopique. Quel était le ressenti de chacun devant une ondée, une grosse pluie, un orage, un coup de vent ? Comment prévoyait-on le temps avant l'invention de la grenouille du bocal et de l'échelle ? Comment s'habillait-on en cas de pluie ? Quelles activités cessaient en laissant passer l'orage et quelles autres en faisaient fi.
Après avoir posé des premiers jalons lors du VIe Congrès des archivistes de l’Arc Alpin1, les sources d'archives liées au ressenti climatique à Toulouse sous l'Ancien Régime ne cessent d’émerger : chroniques des Annales manuscrites, registres de délibérations, de comptabilité, des rondes du guet, sans oublier les procédures criminelles des capitouls qui révèlent des possibilités souvent insoupçonnées.
Le ressenti de nos aînés face à une météo aussi bien ordinaire que déchaînée attend désormais son chercheur ; un atelier public y sera d'ailleurs consacré en automne prochain, avec comme point de départ une mort suspecte dans une flaque...

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1 - Dont les actes ont été publiés dans La Gazette des archives, n°230, 2013-2. "Les sources d’archives pour l’étude du climat et de l’environnement", pour Toulouse, voir plus particulièrement p. 230-238.

"Ventouse donnée à Ragotin", planche gravée [entre 1705 et 1772] d'après Jean-Baptiste Oudry, d'une série illustrant des scènes du Roman Comique de Scarron. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-71.706.

Fai(te)s-moi mal Johnny Johnny...


février 2024

Après l’atelier « Champs Troubles » du 3 février dernier – où les participants se sont penchés sur les déboires de Nicolas Ramondis, ce pauvre jardinier de Matabiau qui n’a pas vraiment été à la fête en 1741-1742 –, la prochaine session des Samedis des Archives est programmée pour le 2 mars prochain. Ça s'appelle « Corpus corporis » et ça va faire mal – Johnny ou pas !
Cette matinée sera exclusivement consacrée aux plaies et aux bosses sous l'Ancien Régime. En solo ou en duo, chacun des participants va pouvoir travailler sur de nombreux verbaux (certificats) de chirurgiens décrivant les maux de leurs contemporains qu'ils viennent panser après une rixe ou un accident. Transcrire il faudra, certes, mais cela nécessitera ensuite d'adapter l'information pour la restituer en la cartographiant sur le corps1. Ceux qui le souhaitent pourront aussi se frotter à des relations d'autopsie.
De la narration de simples ecchymoses pour le moins malheureuses de ces victimes, à l'écriture froide et précise des autopsies, voilà un programme alléchant qui réjouira petits et grands.
Ces trois heures intensives seront ponctuées de temps plus légers :
- on proposera une sélection de plaintes où les victimes racontent la violence subie et les maux engendrés, elle sera à comparer aux verbaux de chirurgiens correspondants, avec de drôles de surprises en perspective, on l'imagine ;
- on parlera des soins adaptés à toutes les blessures. Évidemment, il sera beaucoup question de saignée, mais pas exclusivement. On évoquera même cette importance capitale accordée au poumon de mouton ou au pigeon dans des cas bien spécifiques ;
- le chirurgien Bagnéris sera mis à l'honneur, pas tant pour ses compétences médicales que pour son dédain affiché pour toute forme d'orthographe connue. Transcrire le moindre de ses certificats relève du casse-tête linguistico-phonétique ; nous nous y essayerons tout de même ;
- enfin, en avant-première, vous aurez droit à une présentation de la version beta de « Corpus Corporis », un module actuellement en cours d'élaboration qui viendra enrichir Urbanhist.

Rendez-vous vite sur l'espace presse de notre site pour réserver vos places.

1- Nous ne fournirons pas de corps, juste des schémas - à remplir.

Varkensslacht [abattage de porcs - bien qu'il soit possible qu'il s'agisse là d'un veau]. Dessin à l'encre sur papier par Cornelis Ploos van Amstel (d'après une oeuvre de Jan Saenredam ?). Entre 1778 et 1787. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-1944-43.

Des femmes sans job ?


janvier 2024

Si on laisse de côté les légions entières de filles de service, de femmes de chambre et de moniales, bien malin qui saurait dire ce que font les femmes. Certes, on imagine que la femme du boulanger vend le pain de son mari à la boutique, que la femme du boucher fait risette derrière son étal et puis... c'est tout. Ah si il y a aussi les revendeuses, les blanchisseuses et les cabaretières.
Voilà, un Ancien Régime décidément bien pauvre lorsqu'il s'agit d'identifier les travail des femmes, de nommer leurs activités professionnelles. Point de corporation pour elles1, donc point de métier formellement identifié et reconnu.
Et si tout cela n'était qu'une simple question de langage? Un vocabulaire qui n'a pas pensé que le mot « métier » pouvait aussi se décliner au féminin ? Du coup les femmes que l'on découvre et que l'on lit dans les archives expliquent quelquefois (et timidement encore) leurs « activités », leurs « occupations », sans jamais employer le mot de métier. Pour les autres, la grande majorité préfère se présenter en mettant en avant le métier de leur époux ou de leur père ; c'est bien plus simple.
Dans ce courant actuel de l'histoire qui cherche à promouvoir la femme pour lui rendre sa place, il est évident que la tâche des chercheurs est malaisée quand il s'agit percevoir la réalité du travail au féminin.
Même les archives judiciaires, qui font habituellement plus de cas de femmes, ne peuvent rien faire face à cette pauvreté de langage. Il faut alors s'employer à débusquer leurs activités, leurs occupations, en s'acharnant à lire l'intégralité des interrogatoires, des plaintes, des témoignages, jusqu'aux arides exploits d'assignations délivrés par les huissiers. Là, à force de patience, voilà qu'émergent enfin peu à peu des garnisseuses de chapeaux, des tresseuses de cheveux (pour les perruques), des plieuses et couseuses de livres. Encore un petit effort et l'on découvre charrieuses de charbon, femmes portefaix (on n'a toujours pas inventé le féminin), grappes entières de couseuses ou brodeuses travaillant chez elles, seules ou en véritables ateliers. La fin du 18e siècle voit encore apparaître une nouveauté (mais ne serait-ce pas là que l'effet d'une nouveauté de langage ?) : les modistes, les coiffeuses de dames, sans oublier les cuisinières de grandes maisons ou de tripots huppés.
En un mot, l'absence de mots explique certainement en grande part ce vide, ce silence quant au travail des femmes, mais les chercheurs patients qui prendront cette tâche à brasse-corps sauront certainement redonner un équilibre à cet aspect de la société de la fin de l'Ancien Régime.

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1. En fait, on verra naître en 1781 une sorte de corporation ouverte aux femmes, il s'agit celle des proxénètes. Nous vous renvoyons là à la lecture du numéro d'Arcanes de décembre 2015 pour en apprendre plus sur ce métier qui n'est pas du tout ce que vous croyez.

[Intérieur d’un vieux four]. Dessin au crayon et à la craie de Maria Vos. Entre 1834 et 1906. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-T-1953-97.

Pain total


décembre 2023

Si l'idée de coups et de bagarre est bien souvent associée aux bars, aux cabarets et autres tripots où l'alcool coule à flot, il est d'autres lieux qui n'ont pas à rougir et peuvent faire bonne figure lorsqu'il s'agit d'explosion de violence. Puisque le mot « pain » est un des 140 synonymes de celui de « coup », profitons-en donc pour aller fureter du coté des fournils et des pétrins et y relever l'indice d'agressivité attaché à ces lieux.

Master & servant
Dans l'arrière-salle de la boulangerie B. au pont Neuf, en 1772, l'apprentissage du jeune Monty se fait à la dure. Tantôt B. lui jette des petits pains à la figure, tantôt il menace de lui lancer une marque entière de pain bis1. Ou encore l'apprenti Laffont, régulièrement maltraité par le boulanger P. et qui, en novembre 1780, se fait corriger à coup de pelle avant de recevoir une ravaille toute chaude sortie du four sur la face. Il s'en sort avec un saignement de nez2. Un siècle plus tôt, le compagnon boulanger Laurens Thoulouse aurait certainement préféré se prendre un simple pain, mais son maître a trouvé plus judicieux de le frapper avec marteau de fer ; forcément ça fait plus de dégâts et Thoulouse « auroit resté sanglant, grièfvement et mortellement blessé »3. Il s'en relèvera pourtant. En 1756, le petit Jean Carbonnier fait son apprentissage dans une boulangerie du faubourg Saint-Michel ; un jour d'août il reçoit un véritable déluge de coups et de projectiles. Il faut croire que D., son maître est un sanguin inventif : clefs, tailles4, balai, bûche « de la grosseur du bras et raboteuse » et fourche de fer ; bref, D. fait feu de tout bois pour passer sa colère5. Quant à Baptiste Soulan apprenti chez le boulanger L., il a droit de la part de son maître tantôt à des coups de bâton, tantôt à des coups de pelle, et jusqu'à cette mémorable séance de torture où L. le prit « avec des grosses cordes, le pendit par dessous les aisselles à une poutre du plancher de sa maison, où il le tint l'espace de demy-heure en le faizant tourner à force, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, le menaçant s'il dizoit mot de luy donner de coups de bâtons »6.
Parfois, on inverse les rôles. Là, c'est le garçon boulanger B. qui, tancé pour être arrivé en retard lors de la préparation des pains bénis, réplique en cognant tant son boulanger de maître que la femme de ce dernier7.

Au four et à la pelle
Les fours, généralement dissociés des boutiques de boulangers sont tenu par les fourniers. Le maître de pelle y règne en maître, et sa pelle est d'ailleurs un sérieux rappel à l'ordre pour ses apprentis et compagnons, comme pour les boulangers qui viennent y apporter la pâte à cuire.
C'est exactement ce que fait B., maître de pelle du four de la Capelle-Redonde, lorsque le boulanger Raby veut lui apprendre son métier. Il le prend « par la tête et l'a fait h[e]urter avec force et cruauté de la tête sur le mur, de manière qu'il luy a fait faire une cicatrice ou blessure très large et très profonde, et par laquelle il a répandu tant du sang qu'il en a été couvert à l'instant sur son habit. Ce qui a excité tant la consternation, même l'indignation, de ceux qui étoient dans led[it] four »8. Mais il en faut plus pour impressionner certaines. Et le fournier Larroque aura fort à faire pour venir à bout de Bernarde Tourens et sa fille, celles-ci ne quitteront son four qu'après avoir rendu coup pour coup9.

Penthotal
Finissons avec ce combat inégal place du Salin en 1745. Les armes de poing et de jet utilisées par Georges face à la malheureuse Jeanne (prête à accoucher) se déclinent d'abord avec un caillou, puis un poids en métal avant de s'achever sur « un gros pain double » qui atteint de ventre de Jeanne, « laquelle [...] tomba tout de suite évanouye et on la fit entrer chès la bouchère où de nouveau elle tomba comme morte »10. Presque de quoi lui faire passer le goût du pain. Or, en lisant la procédure récriminatoire, ce serait plutôt  Jeanne qui « prit un poidz d'une livre qu'elle jetta sur l'estomac » de Georges11. Alors, qui croire ? Si le Penthotal (ceci est un médicament, demandez conseil auprès de votre médecin traitant) avait été inventé, les capitouls n'auraient-ils pas été tentés d'y avoir recours ici afin d'essayer d'obtenir la vérité ?

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1-   FF 816/3, procédure # 069, du 14 avril 1772.
2-   FF 824/8, procédure # 151, du 24 novembre 1780.
3-   FF 729/1, procédure # 022, du 9 juin 1685.
4-   La taille de bois qui permet de suivre et de faire les comptes entre le boulanger et ses pratiques (clients).
5-   FF 800/6, procédure # 217, du 10 août 1756.
6-   FF 789/7, procédure # 148, du 20 novembre 1745.
7-   FF 775/2, procédure # 068, du 23 juin 1731.
8-   FF 819/2, procédure # 025, du 4 février 1775.
9-   FF 804/2 procédure # 037, du 15 février 1760.
10- FF 789/1, procédure # 001, du 9 janvier 1745.
11- FF 789/1, procédure # 002, du 9 janvier 1745.

"De maand april" [allégorie du mois d'avril]. Gravure de Frederick Bloemaert d'après un dessin d'Abraham Bloemaert, entre 1635 et 1670. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-BI-1555.

1603 ou les tribulations du syndic des visites


novembre 2023

Parmi les diverses opportunités de carrières proposées au sein de l'administration de la ville de Toulouse, il y en a (eu) une qui laisse songeur, celle de syndic des visites.
La fiche de poste ne nous est pas parvenue, rares sont les chercheurs qui se sont penchés sur cet emploi (réservé ?), et l'on doit se borner à considérer que le rôle de ce personnage était de faire des tournées d'inspection dans les affachoirs, boucheries et autres lieux de la ville où l'on se préoccupait de sécurité alimentaire (avant que le terme ne soit inventé). Ce poste de syndic des visites va d'ailleurs tout bonnement disparaître au cours du 17e siècle1.
En 1603, c'est Jean Chayde qui est pourvu de cet emploi, et il a fort à faire car une épizootie ravage alors le bétail à laine et à corne d'une partie du royaume2, à tel point que le parlement de Toulouse doit promulguer le 12 avril un arrêt portant inhibition à tous « gentilhomes, marchans & autres de ne trasduire aulcune quantité dudit bestail en Espaigne ny faire amas et achaptz d'icelluy »3. Cet arrêt a force de loi dans toute l'étendue du ressort du parlement, mais il reste encore à le publier, c'est à dire le porter à la connaissance des consuls des villes et bourgades, le crier à son de trompe et en afficher des exemplaires4.
Jean Chayde est missionné afin d'aller assurer la publication officielle de cet arrêt en Gascogne, puis en Languedoc.C'est là pour lui une occasion de rompre avec la monotonie de son travail, de lui permettre d'enfourcher une cavale et d'aller prendre l'air pour voir si l'herbe est plus verte ailleurs.
De ces trois semaines de routes, de chemins, d’auberges et de visites, il a laissé un état détaillé afin de pouvoir se faire rembourser des divers frais avancés pour ses repas, couchées, locations de chevaux et autres menues dépenses5.
Nous pouvons donc le suivre dans ses premières étapes qui le mènent successivement à Grenade, Beaumont de Lomagne, Cologne, Fleurance, Gimont et Lisle Jourdain. Tout se passe sans anicroche notable, les tables semblent bonnes et les auberges accueillantes. L’arrêt du parlement y est publié sans problème.
En revanche, il n'en sera pas de même pour son périple du côté du Languedoc. À Castelnaudary, son arrivée coïncide avec la Fête-Dieu : impossible de songer à publier l'arrêt, il lui faudra le faire lors de son retour. Ensuite, il ne fait que passer par Carcassonne avant d'échouer à Narbonne. Là, les consuls y mettent de la mauvaise volonté, on le renvoie vers le maître des Ports, puis vers le contrôleur des droits forains, sans oublier le procureur du roi. Après une partie de ping-pong entre institutions diverses qui se partagent la ville, l'arrêt est finalement publié à son de trompe et affiché. Mais Jean Chayde n'en a pas fini avec les tracas administratifs : à Carcassonne, c'est la même rengaine, et il en repart sans avoir pu rien publier – mais avec la promesse qu'on le fera pour lui. Il ne lui reste plus qu'à repasser par Castelnaudary afin de compléter sa mission. Cette fois, il tombe un jour de marché, et la publication peut se faire avec célérité et dans les règles.
Jean Chayde va terminer cette tournée par un solide souper dans une auberge de Villefranche de Lauragais avant de retrouver le train-train de ses visites à Toulouse, qui, finalement ne doit pas lui sembler si désagréable au vu des ennuis rencontrés dans la seconde partie de son périple.

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1- On ne trouve encore trace en 1628, lors de la destitution d'Antoine Février, accusé de concussion avec les bouchers et boulangers – BB 29, f° 99v-110, conseil des capitouls du 9 octobre 1628.
2-  Nous pensons qu'il pourrait s'agir de la maladie dite « le mal de langue », déjà signalée cette année-là à Avignon, et citée dans l'étude de François Vallat : « Une épizootie méconnue : le “mal de langue” de 1763 », Histoire et Sociétés rurales, vol. 20 (2e semestre 2003), p. 79-119.
3- AA 21, acte n° 118.
4-  Nous savons que cet arrêt a été imprimé en grand placard mais nous n'avons malheureusement pas pu en trouver d’exemplaire.
5- CC 2579, pièces n° 415-431.

Annales manuscrites des Capitouls, chronique de l'année 1437-1438. Le nom du 3e capitoul en partant de la droite (Bertrand de Holmeda) a été effacé au profit de celui de "Bertrand Puget". Ville de Toulouse, Archives municipales, BB 273, chr. 132.

Petits arrangements entre grosses huiles


octobre 2023
Les Annales manuscrites des capitouls, que l'on ne présente plus, sont une formidable source pour la connaissance de la ville, de ses institutions, et elles se présentent encore comme un laboratoire d'observation du discours politique des élites urbaines et des évolutions et mutations d'une cité sur presque cinq siècles.
Les portraits des capitouls qui y sont insérés, réalisés chaque année, contribuent à donner à ce monument écrit (composée d'environ 5 000 feuillets en parchemin très grand format, rassemblés sur 12 registres) un lustre certain, d'autant plus que ces Annales manuscrites sont uniques en leur genre, tant par la richesse de leur contenu que par leur permanence dans le temps (1295-1787).
L'attrait de ces registres n'a pas échappé aux contemporains qui, au cours des siècles, sont allés y puiser des éléments précieux pour nourrir leurs écrits historiques ou politiques.
Si nous n'en retenons généralement de nos jours que l'aspect historique et artistique, d'autres, peu scrupuleux, y trouvèrent autrefois une opportunité beaucoup moins louable.
L'exemple le plus marquant reste celui des faux capitouls de la famille Puget. Au cours du 16e siècle, un faussaire s'est ingénié à gratter les noms de certains capitouls dans pas moins de seize chroniques annuelles afin d'y substituer plus ou moins habilement le nom de « Puget ».
Un peu d'astuce, d'espièglerie et voilà comment on se construit une généalogie remontant à des temps anciens. Grâce à ces altérations volontaires, les descendants de ces prétendus capitouls purent non seulement s'enorgueillir d'une illustre lignée et, plus prosaïquement, s'autoriser à briguer des charges prestigieuses et lucratives. Les Puget ne sont pas seuls en cause, d'autres familles, plus mesurées dans leurs ambitions frauduleuses, s'y sont aussi essayées.
Et si certains de ces intrus avaient déjà été débusqués dès le 17e siècle tellement les surcharges du faussaire étaient grossières (voir illustration ci-contre), d'autres ont échappé à la sagacité d'historiens anciens tel que Germain de Lafaille ou bien encore Abel et Froidefont. On doit à l'archiviste Ernest Roschach un premier état de ces falsifications, repris, corrigé et complété par François Bordes son successeur, en 2006.
Canal de Brienne, l'arrivée sur l'écluse de Saint-Pierre - cliché Stéphanie Renard - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 4Num14/40.

Tourisme fluvial aux archives


septembre 2023

La pause estivale a été l’occasion pour nous de collecter un nouveau fonds d’archives. Et celui-ci va vous donner envie de pratiquer le tourisme dans la région toulousaine et plus précisément dans les abords du Canal du Midi. En effet, le fonds Maguès, classé et conservé sous la cote 144Z, aborde en grande partie la vie de deux grands toulousains du XIXe siècle : Urbain et Henry Maguès.
Ceux-ci, particulièrement connus pour leur gestion du Canal du Midi durant plusieurs années, ont aussi participé au développement de l’urbanisme toulousain à la fin du XIXe siècle. C’est ainsi que Urbain Maguès propose l’ouverture de la rue d’Alsace-Lorraine entre 1869 et 1873.

Outre ces documents particulièrement intéressants sur l’urbanisme toulousain, ce fonds constitue aussi un véritable témoignage de la vie d’une famille aisée à cette époque-là. Nous retrouvons une correspondance familiale importante, mais aussi des documents généalogiques permettant de retrouver les différentes familles alliées.
Mais surtout, nous conservons de magnifiques plans concernant différents cours d’eau, tels que le Girou ou le Canal de l’Agout, nous donnant quelques fois envie de voguer vers de nouveaux horizons.

"Dikke nar met een worst" [Gros bouffon avec une saucisse]. Gravure de Caspar Merian d'après un dessin de Hans Holbein. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-21.839.

Petit salé, grands effets


juillet-août 2023

Voilà l'été, occasion rêvée pour nous d'aborder une thématique souvent en retrait dans nos archives : les salaisons.
Archives criminelles anciennes obligent, nous allons prendre des détours et en voir de toutes les formes et de toutes les couleurs, certaines à faire rougir.
Promenons-nous d'abord dans le bucolique quartier de Lespinet où, en 1774, nos voleurs ne sont guère en veine. À la faveur de la nuit, ils ont fait main-basse sur deux jambons et deux épaules de cochon et un lard, mais le métayer du domaine et ses aides réagissent immédiatement et ne font pas dans la dentelle. Résultat, un des filous reste sur le carreau, la cervelle fracassée à coups de crosse (un vrai pâté de tête diraient les cyniques) ; quant à son complice, une décharge de fusil dans le c… l'empêchant de se mouvoir avec vélocité, il sera cueilli au petit matin1. Jugé et pendu, il finira de sécher suspendu aux fourches patibulaires, un peu comme un jambon.
Quatre ans plus tôt, des trublions en quête de filles de joie font irruption dans la maison Talexy. Ne trouvant personne d'assez appétissant à leur goût, ils repartent avec cinq tours de saucisse sèche ; il n'y a pas de petit plaisir2. Évidemment, ces derniers font assez petits joueurs à côté de ces personnages qui pénètrent par effraction chez le charcutier Pérès, et dont leur butin s'élève à plus d'une trentaine de saucissons, des boules de graisse et du vieux lard3. Les perquisitions vont bon train dans le voisinage et l'on retrouve nombre de salaisons cachées dans une couette, d'autres enfouies sous la terre dans une cave, jusque même ce saucisson dissimulé dans le canon des latrines (et ça c'est vraiment sale !). Salées aussi sont les morues que l'on escamote d'une barrique laissée dans la cour de la maison de la veuve Jonquières4. Elles ne referont jamais surface.[Pierrot à la saucisse]. Gravure de Jacques Louis Copia, d'après Louis Marie Sicardi, entre 1774 et 1799. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-2007-470.
D'un sans-gêne, ces clients de cabaret qui, malgré l'interdit du vendredi, réclament à manger du lapereau, rien que ça ! Devant le refus de l'aubergiste, ils dénichent de la saucisse, se servent et la font griller eux-mêmes ; ils ont même le culot d'exiger de la moutarde5. Devant leur impudence, on souhaiterait presque que ce soit de la saucisse des sœurs Laguens, réputée être faite avec les restes de charognes jetées à la voirie6.
Le malheureux Raymond-Charles Robert est lui victime de l'indélicatesse de sa domestique qui quitte soudain son service en emportant un pot contenant cinq oies confites, qu'elle offre à son galant présumé7. Ce dernier, visiblement homme de peu de goût, revend le cadeau pensant que c'est de la... confiture.
Terminons en remontant encore un peu dans le temps, pour nous transporter en 1702, dans l'alcôve (ou presque) de Toinette8. Son mari parti à la campagne, elle fait prévenir son amant par une petite voisine. L'homme arrive au galop. Sauf que voilà, Toinette a ses règles. Qu'importe, la petite voisine fait aussi bien les affaires de l'amant. Mais Toinette trouve finalement à se rafraîchir, et la voici prête à entrer dans la danse. Craignant toutefois que le bellâtre ait perdu quelque vigueur dans l'assaut précédent, elle lui recommande de reprendre des forces en mangeant un morceau de salé de son mari. Une fois restauré, le voilà visiblement à nouveau d'attaque. Las, attaque il y a, mais surprise celle-là. Le mari, qui était resté caché entre des lits dans la chambre, surgit tel un diable de sa boite, armé d'un sabre et d'une serpe9, et il s'ensuit une galopade effrénée jusque dans la rue. La note ne sera pas si salée : aucun mort à déplorer.

Comme quoi, petit salé, grands effets.

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1- FF 818/3, procédure # 065, du 26 mai 1774.
2- FF 814/2, procédure # 030, du 13 février 1770.
3- FF 818/1, procédure # 013, du 12 février 1774.
4- FF 794/2, procédure # 068, du 26 mai 1750.
5- FF 756/2, procédure # 077, du 30 décembre 1712.
6- FF 753/1, procédure # 009, du 23 avril 1709.
7- FF 789/2, procédure # 041, du 3 avril 1745.
8- FF 746/1, procédure # 020, du 26 avril 1702.
9- Las, on ne saura jamais si la moutarde lui est montée au nez lorsqu'il a entendu les gémissement de sa femme, ou bien si c'est son salé donné à l'amant qui lui est plus resté en travers de la gorge.

Les capitouls de l'année 1779-1780. On reconnaît Bernard-Henry-Thomas Ginisty (3e en partant de la gauche), père du petit « Toulouse-Louis-François-Pierre-Jean-Augustin-Jean-Joseph-Pierre-François-Ignace-Jean-Florent-Nicolas-Paul », dernier filleul de la ville, « baptisé officiellement le 24 mai 1779 ». Huile (fort gâtée) sur parchemin, par Lambert-François Cammas. Mairie de Toulouse, Archives municipales, Annales Manuscrites, livre XII, BB 284.

Itinéraire d’un enfant gâté


juin 2023

En 1715, madame Despinasse, née Cassaignau, a accouché deux fois dans l'année. Est-ce là un accident pour son couple, réglé et habitué à avoir un enfant tous les deux ans ?
Probablement pas. En fait, tout a été conditionné par ce premier enfant né en janvier1. Il nous semble évident que le papa, François-Raymond Despinasse, a été très déçu : Marie-Anne, une fille, pensez-donc !
Il fallait donc s'y remettre, au risque de fatiguer madame. Mais, peu importe, monsieur Despinasse se devait absolument d'avoir un fils avant la fin de l'année.
Les efforts de monsieur (et de madame – même si elle n'a pas nécessairement eu son mot à dire) se révèlent payants : le 22 décembre naît un enfant mâle. Quatre jours après, ce nourrisson est oint du Seigneur et reçoit les prénoms de Louis-Paul-Raymond-Toulouse2. Rien que ça.
Il faut expliquer que monsieur Despinasse père est alors capitoul, et son empressement à avoir un garçon dans l'année de sa charge est motivé par le fait que la naissance d'un enfant mâle (les filles ne comptent pas) entraîne un baptême « officiel »3. Des cadeaux offerts par la ville, une médaille gravée en or, une belle cérémonie et tous les capitouls qui tiennent l'enfant au nom de la ville.
Filleul de la ville, Louis-Paul-Raymond-Toulouse bénéficiera sa vie durant de privilèges, dont celui de pouvoir porter l'épée dans l'hôtel de ville.

Sauf que voilà, l'enfant gâté va commencer par se signaler à l’âge de 23 ans4. Effronté trublion, il cause presque une émeute à la salle du spectacle le soir du 1er juillet 1738. Et lorsque l'on cherche à le conduire dans les prisons de l'hôtel de ville, il en fait tellement que la jeunesse s'agite, ce qui va entraîner la mort tragique du baron de Pordéac, l'un de ses amis. Seulement condamné à « s'abstenir pendant deux ans de la ville et gardiage, avec déffences d'y rentrer pendant led. tems à peine de punition corporelle »5, on le retrouve très vite à pied d'œuvre, en juillet 1740, accusé d'assassinat par l'épouse d'un cuisinier6 ; il contre-attaque en portant plainte contre cette dernière pour prétendues insultes, diffamation et menaces7. Personne n'est dupe.
En 1745, Louis-Paul-Raymond-Toulouse se fait grossièrement traiter d'« espion de jeu à douze sols par jour » et même un petit peu secouer puisqu’un chirurgien qui le soigne estime que « la violence du coup se fait sentir sur les membrannes du cerveau »8. Cette fois il devient plaignant. Mais tout ceci ne serait pas arrivé s'il n'avait pas fréquenté des cercles de jeu interdits. Visiblement, la leçon ne porte pas, puisqu'en 1753 il organise lui-même des parties d'argent ou les héberge9. Dans sa lancée, il maltraite l’année suivante, à heure nocturne, la femme d'un fournier et la menace de son arme10.
À 65 ans, il se signale une dernière fois dans une affaire d'agression – verbale seulement –, preuve que l’âge de la retraite n’a pas encore sonné11.

Enfant choyé, enfant gâté, Louis-Paul-Raymond-Toulouse fait plutôt figure de fruit pourri et, au vu de ses exploits connus, il n'a guère fait honneur aux prénoms qui lui ont été généreusement donnés : ceux du roi, des comtes de Toulouse et de la Ville.

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1 - GG 292, f° 15.
2 - GG 292, f° 133v-134.
3 - M. Perny, « L’invention d’un rituel urbain toulousain : la ville de Toulouse et ses filleuls à l’époque moderne », in Toulouse, une métropole méridionale, Vingt siècles de vie urbaine. Sous la dir. de B. Suau, J.-P. Almaric et J.-M. Olivier. Ed. PUM, Méridiennes, 2009, p. 317-333.
4 - Mais certainement avant. Il pourrait déjà être l'auteur de ce vol commis l’année précédente et attribué à un nommé « Despinasse fils ayné ». FF 781/1, procédure # 032, du 9 avril 1737.
5 - FF 782/3, procédure # 058, du 1er juillet 1738.
6 - Ce procès a été intenté devant la cour du sénéchal, dont les archives des procédures criminelles sont désormais perdues. Rappelons qu'un assassinat est une agression préméditée.
7 - FF 784/4, procédure # 119, du 17 juillet 1740.
8 - FF 789/1, procédure # 023, du 16 mars 1745.
9 - Mais c'est son frère cadet, François-Joseph, qui se fera pincer, avec de nombreux autres fils de la jeunesse dorée - FF 797/1, procédure # 003, du 8 janvier 1753.
10 - FF 798, (en cours de classement), procédure du 17 juillet 1754.
11 - FF 824/6, procédure # 096, du 10 juillet 1780.