La caserne Pérignon vers 1903. Carte postale, Trantoul A. (photographe) ; Labouche Frères (éditeur). Mairie de Toulouse, Archives municipales, 9Fi5389.

À vos ordres !


juillet-août 2020

Se loger, se nourrir, s'entraîner, se soigner, voici un aperçu des fonctions auxquelles doit répondre la caserne, lieu de regroupement des soldats dans la ville. Dortoirs, cuisines, écuries, infirmerie, bureaux, place d'armes en sont les incontournables. D'abord logés chez l'habitant, ou dans des maisons loués à des particuliers, les militaires s'installent bien souvent après la Révolution dans d'anciens édifices religieux devenus biens nationaux. Le Grand Séminaire rue Valade, ou encore le séminaire de la Mission place de la Daurade, accueillent ainsi le logement des troupes lorsque la ville devient une place stratégique dans les affrontements des armées révolutionnaires puis de l'Empire, avec l'Espagne1. Toulouse devient une ville militaire et garde ce rôle durant tout le 19e siècle. Fonderie, arsenal, poudrerie, hôpital militaire et bien sûr casernes sont installés dans la cité. L'institution militaire adapte tant bien que mal ces bâtiments à leur nouvelle destination, mais ils se révèlent vite insuffisants pour une garnison qui atteint plus de 5 000 hommes en 18412. L'État, avec l'aide de la municipalité, décide alors de faire construire des édifices voués spécifiquement au casernement. La caserne de Compans est la première à être construite, en bordure des anciens remparts. Achevée en 1854, elle est complétée peu de temps après par une deuxième caserne. Le service militaire, obligatoire à partir de 1872, entraîne une forte augmentation des contingents et des besoins de logement. A la toute fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, ce sont les casernes Pérignon, dans le faubourg Guilheméry et Niel, dans le quartier Saint-Michel, qui sont édifiées. Basées sur plan centré dont l'axe de symétrie passe de l'entrée au pavillon de troupe en passant par la place d'armes, elles sont le reflet de la rationalisation de l'architecture engagée tout au long de ce siècle par la création de plans-type, traduisant dans un programme architectural cohérent les besoins auxquels doivent répondre les édifices publics. Ces bâtiments présentent des caractéristiques similaires : solin de pierre, chaînes d'angle et encadrement des baies en brique et pierre, toits brisés couverts d'ardoises, corniches à modillons en brique. Malgré un certain luxe donné à leur apparence, les casernes restent le lieu privilégié de la propagation des épidémies et on y observe une grande mortalité.
Ces édifices sont conçus pour loger un grand nombre d'hommes, certes dans la recherche d'une efficacité tactique associée à un caractère monumental, mais aussi dans un souci d'économie. En 1868, le commandant du VIe corps d'armée s'installe dans son nouveau palais, élevé à proximité du Grand-Rond, le palais Niel. Son coût de construction a largement dépassé l'évaluation d'origine en raison de sa richesse d'ornementation3 : Victoire ailée décorant le fronton du pavillon central ou encore génie de la Guerre sur les consoles des balcons. A l'intérieur, le décor est lui aussi remarquable : mosaïque, escalier d'honneur, décor de stucs néo 18e dans les salons de réception…
Un programme de recherche associant les universités de Toulouse-Jean-Jaurès et Bordeaux-Montaigne ainsi que l'École Pratique des Hautes Études, s'intéresse de près à ce patrimoine mal connu. Cela est d'autant plus nécessaire que les édifices militaires, désertés depuis la fin de la conscription et les différentes réformes de l'institution, souvent situés à proximité des centres villes, attirent les convoitises. Au cœur d'enjeux de recomposition urbaine et de redynamisation des villes, ils sont réhabilités et reconvertis en vue d'accueillir de nouvelles fonctions : bâtiments administratifs, équipements culturels ou bien encore résidence hôtelière dotée d'une piscine sur le toit.

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1 N. Meynen, « 1881, Carte des environs de Toulouse levée en 1880 et 1881 par M. Perrossier, chef de b[ataill]on au 126e, ancien officier d'état-major, et publiée sous les auspices de M. le G[énér]al Appert, commandant le 17e corps d'armée », in Toulouse 1515-2015. Atlas de Toulouse ou la ville comme œuvre,  Rémi Papillault dir., 2015 , p. 138.
2 N. Marqué, « Une ville en (r)évolution(s) ? (1815-1848) », in Histoire de Toulouse et de la Métropole, Jean-Marc Olivier et Rémy Pech dir., Toulouse : Privat, p.513-524,  p. 521.
3 N. Meynen, op. cit., p. 138.

Usine de chaussures Nougayrol, usine nationale de construction aéronautique, aujourd'hui lycée professionnel Gabriel Péri. Phot. Gisclard, Philippe (c) Inventaire général Région Occitanie, 1996, IVR73_19963100708ZA.

Quand on a trouvé chaussure à son pied…


mai 2020

Le monde industriel toulousain du 19e siècle et du début du 20e siècle se caractérise par une multitude d'ateliers, de fabriques, de manufactures, employant une importante main-d'œuvre dispersée dans de très petites ou moyennes entreprises. Loin des grands empires sidérurgiques ou textiles du nord de la France, les nombreuses « micro-industries » de la capitale méridionale n'en participent pas moins au développement industriel dans des secteurs aussi divers que la chapellerie, la chemiserie, les chaussures, les décors en terre cuite ou les vitraux, les machines agricoles ou encore la carrosserie1, avant d'être éclipsées par l'industrie aéronautique en plein essor.
Débutée au milieu du 19e siècle, la production de chaussures connaît un fort développement à partir de 1914, grâce à la demande militaire engendrée par la première guerre mondiale. Sa croissance se poursuit après guerre : 1928, on compte une cinquantaine d'usines et d'ateliers employant 3500 ouvriers. Subissant de plein fouet la crise économique, ce secteur ne compte plus que 1300 ouvriers en 1937. En 1961, il restait tout de même 38 entreprises employant 1400 ouvriers2.
Lors de la première campagne d'inventaire, dans les années 1990, huit bâtiments ayant abrité une usine de chaussures ont été recensés. Les édifices qui subsistent, s'ils n'offrent pas de formule architecturale nouvelle, présentent néanmoins les caractéristiques de l'architecture industrielle de la fin du 19e et du début du 20e siècle : de larges baies vitrées laissent entrer la lumière dans de grands espaces intérieurs, soutenus par des charpentes métalliques et surmontés de toits en shed.Usine de chaussures Nougayrol, usine nationale de construction aéronautique, aujourd'hui lycée professionnel Gabriel Péri, détail des fenêtres sur la rue Bégué-David. Phot. Noé-Dufour, Annie (c) Inventaire général Région Occitanie, 1996, IVR73_19963100708ZA.
Dans le quartier du Busca la fabrique Nougayrol, construite en 1915, fonctionne jusqu'en 1936. Elle possède une architecture particulièrement soignée : deux niveaux de larges fenêtres à meneau central et de fenêtres à croisées, surmontés d'un étage de mirande, référence à l'architecture traditionnelle toulousaine. Après avoir hébergé des activités liées à l'aéronautique, ces bâtiments accueillent depuis 1965 le lycée professionnel Gabriel Péri. D'autres manufactures ont été transformées en logements : l'ancienne usine de confection et de chaussures dans le quartier Saint-Aubin offre sur la rue Vidal une façade qui rappelle sans conteste son passé industriel. L'héritage de la production de chaussures à Toulouse se cache là où on l'attend le moins. En 1995, un collectif d'artistes s'installe dans une ancienne usine de chaussures dans le quartier de la Patte-d'Oie, les établissements Pons, repris dans les années 1960 par Myrys en activité jusqu'au début des années 1990. L'association ainsi créée prend le nom de Mix'Art Myrys en souvenir de son premier lieu d'installation.
Ces petites fabriques, si elles n'ont pas le caractère monumental des grands représentants de l'architecture industrielle toulousaine, tels que la manufacture des tabacs ou le paquebot de l'usine Job des Sept-Deniers, ont fait la richesse de la vie économique toulousaine du 19e au début du 20e siècle. L'architecture de ces bâtiments, leurs concepteurs (architectes ou maçons ?), leurs modèles et leurs adaptations, ou encore leurs insertions dans le paysage urbain, sont encore à étudier de façon plus précise.

 

1. Jean-Marc Olivier, « Les patrons toulousains sous le Second Empire : médiocrité ou méconnaissance ? » dans Toulouse, une capitale méridionale : 20 siècles de vie urbaine, Actes du 58e congrès de la Fédération historique de Midi-Pyrénées (2008). Coll. Méridiennes, Toulouse 2009, p. 529-537, p. 531.

2. Jean Coppolani, Toulouse au 20e siècle, Toulouse, Privat, 1963, p. 213.