Profitant des derniers rayons de soleil à la terrasse d’un bistrot (ça, c’était dans le monde d’avant), devisant entre gens de bonne compagnie tout en savourant une bière fraîche, bio peut-être, locale sûrement, on ne se doute pas que la capitale du sud-ouest, plus connue pour son cassoulet et son vin rouge, a abrité une douzaine de brasseries dans les années 1860, apogée d’un phénomène qu’on appellerait aujourd’hui la microbrasserie.
En 1807, on trouve cette mention dans l’annuaire de la Haute-Garonne : « Plusieurs brasseries se sont établies depuis quelques années à Toulouse, et l’on ne croyait pas à la possibilité d’en établir dans un pays où la cherté du houblon que l’on est obligé de tirer des départements du nord et de l’Allemagne, devait être un obstacle difficile à vaincre. Il est à désirer que cette plante, cultivée dans le pays et devenue commune, soit à un prix qui réduise celui de la bière à la proportion dans laquelle il doit se trouver avec le prix du vin »1. Les brasseurs toulousains, au 19e siècle, sont en majorité des Alsaciens, émigrés à Toulouse après les guerres révolutionnaires et impériales, qui apportent avec eux leur savoir-faire.
La rue de la Brasserie, au Grand-Rond, doit son nom à la fabrique de bières Stoll2 qui s’y installe au tout début du 19e siècle et dont les locaux sont transformés en immeuble en 1898. La plus importante brasserie toulousaine, celle des bières Montplaisir, est fondée en 1885 par les frères Stieber dans le quartier Busca-Montplaisir, juste à côté de la maison Labit. Dans les années 1950, le prix de la bière concurrence effectivement celui du vin, malgré des matières premières étrangères à la région : l’orge provient des départements du centre, le houblon d’Alsace et surtout d’Allemagne et de l’ancienne Tchécoslovaquie3. En activité jusqu’aux années 1970, la brasserie Montplaisir absorbe peu à peu les petites industries familiales, avant d’être à son tour avalée par les grands groupes industriels et de céder la place à des immeubles.
Un masque grimaçant et un roi de la bière joufflu offrent aujourd’hui aux passants le souvenir de l’activité brassicole toulousaine. Rue du Pont de Tounis, au n° 10, le portail est couronné par un personnage à la longue barbe, tenant une chope d’où s’échappe de la mousse, un tonneau à la place du ventre, des lianes de houblon et des épis d’orge à ses côtés. La tradition l’identifie à Gambrinus, roi mythique de Flandre et de Brabant, inventeur de la bière et devenu patron des brasseurs. Rue de Belfort, c’est un mascaron couronné d’orge et de houblon qui surveille de son visage grimaçant les entrées et les sorties de l’ancienne brasserie alsacienne Debs.
Comme le souhaitait le rédacteur de l’annuaire de 1807, le houblon est aujourd’hui cultivé localement, et on assiste à un renouveau d’une bière artisanale de qualité, à consommer sans excès, bien entendu, et chez soi, en attendant la réouverture des cafés.
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1 Cité par P. Salies, Dictionnaire des rues de Toulouse, Toulouse : Ed. Milan, 1989, t. 1, p. 185.
2 Archives municipales de Toulouse, 1O 16/7, années 1804-1823, Dossier concernant la construction par Juste Stoll d'une brasserie.
3 J. Coppolani, Toulouse au XXe siècle, Toulouse : Privat, 1962, p. 235.