Arcanes, la lettre


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archives ou de ressources en ligne. Ainsi, des thèmes aussi variés que la mode, la chanson, le cinéma, le feu sont abordés...

PASS / PASSE / PASSE-PASSE


septembre 2024

DANS LES ARCANES DE


Portrait de Claude Nougaro vêtu d’un imperméable Blizzand, années 1960, carte postale publicitaire. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 9Fi5867.

Imper et passe


septembre 2024
Le temps passe... Il y a déjà vingt ans nous quittait Claude Nougaro. Petit taureau en imper. Impertinent, l’œil qui frise. Flambeur de film de gangster. Chanteur, fils de chanteur, entré au patrimoine de la Chansong. Passeur de mots.
Les archivistes, eux, sont parfois des passeurs de mémoire. Suscitant, au détour d’une visite de magasin, une révélation quasi mystique chez leurs disciples : Le Paradis, aurait dit le plus toulousains des chanteurs français.
Lui qui s’écriait Nous n’avons pas de passeport sur la bande originale du film L'Ordre et la sécurité du monde (Claude d’Anna, 1978) était aux antipodes d’Aimé Chapotin qui en possédait trois retrouvés sur son corps sans vie en 1741. Le fonds de la justice des capitouls en recèle bien d’autres provenant d’ici et d’ailleurs.
La musique de Nougaro voyageait, pareillement, de la France vers les autres continents, en aller-retour. Des mélodies passe-partout au sens noble, populaires, accessibles au plus grand nombre. Le passe-partout, en matière de conservation préventive, est aussi un moyen de rendre accessible. Mais il s’agit ici de présenter aux yeux du grand public des documents d’archives tout en les protégeant.
Ah, tu verras, tu verras, toi aussi lecteur d’Arcanes, tu verras des lacs, des fermes, des églises de Flourens et Montrabé apparaître sur le site Urban-Hist. Tu verras aussi une mystérieuse inscription surgir, puis disparaître à jamais, sur une façade de la cour Henri IV du Capitole. 
Et surtout, si tu viens aux Archives de Toulouse pour les Journées Européennes du Patrimoine les 21 et 22 septembre prochains, tu verras toutes sortes de choses étonnantes et inédites à commencer par les coulisses des Archives, mais aussi des ateliers, des expositions.  Et si tu n’es pas là, ne te morfonds pas, car dans un an de ça, tout recommencera, tu verras, tu verras...

ZOOM SUR


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Reportage sur la vie des Archives de Toulouse, ici le fonds Ancien. Stéphanie Renard – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 4Num12/61.

Passeurs de mémoire


septembre 2024
La thématique de ce numéro d’Arcanes, tout comme l’approche des Journées européennes du Patrimoine, me donnent envie de partager un souvenir encore précis : mon premier contact physique avec le monde des Archives, qui fût pour moi décisif. J’étais alors étudiante en Master 2 Archives et Images, à l’université de Toulouse Jean-Jaurès, et visitais ce jour-là, les magasins de conservation situés au 4e étage des Archives départementales.
La conservatrice Geneviève Douillard qui guidait alors nos pas nous ouvrit les portes d’un monde insoupçonné, mystérieux et fascinant : les arcanes et archives du Parlement de Toulouse. Là, remplissant la pièce, saturant l’air et l’espace, étaient empilés sur de longs rayonnages quelques 100 000 sacs à procès, autant de traces des affaires civiles et criminelles jugées aux 17e et 18e siècles, par cette institution parmi les plus importantes de l’Ancien Régime. Dans ces sacs en toile de chanvre poussiéreux et jaunis par le temps, équivalents de nos actuels dossiers de procédures, était consigné l’ensemble des documents ayant servi à l’instruction des procès : témoignages, procès-verbaux, et parfois même, pièces à conviction. Passant d’un épi de conservation à l’autre, je basculais alors dans une autre temporalité, un peu sonnée par toute cette masse mémorielle et la quantité de témoignages, de traces et sédiments de vies et de destins qui s’y accumulaient et s’entrechoquaient : des flots d’insultes aux objets volés, en passant par les fatales disputes de couples, les récits d’évasion ou de séduction, les accros de voisinage…
De ce monde captivant, je ne suis pas revenue. Et j’apporte depuis, ma petite contribution au monde des Archives en décrivant, communiquant et valorisant les fonds d’archives figurées. Nos missions d’archiviste font de nous des passeurs de mémoire et d’histoire(s), missions que nous serons heureux de vous faire découvrir lors des prochaines JEP.

DANS LES FONDS DE


Passeport délivré à Rennes en faveur d'Aimé Chapotin, lapidaire de son état, natif de la paroisse de Saint-Pierre de Chablis. Mairie de Toulouse - Archives municipales, FF 785/6, procédure # 165, du 23 septembre 1741.

Passeport pour l’aventure


septembre 2024

Où que l’on aille dans le royaume, il est souhaitable d’avoir sur soi des papiers, et pas n’importe lesquels. Des certificats de bonne vies et mœurs peuvent faire l’affaire, mais on préfère des passeports. Pour les anciens galériens, on se contentera de regarder leur certificat de congé1.
Ainsi, que l’on vienne de Paimpol ou bien de Mazamet, voire de Blagnac, on doit s’attendre à ce que les capitouls exigent qu’on leur exhibe ces documents, particulièrement s’il l’on est un peu vagabond, ou simplement d’allure suspecte.
Aimé Chapotin est natif de Paris. Après quelques soucis avec la justice toulousaine en 1739, il prend sagement le parti de se faire oublier et de retourner sur les routes de France. Le 17 mars 1741, il en prend un à Caen, avant d’en obtenir un nouveau à Rennes (voir illustration ci-contre) le 7 avril, afin de se rendre en Provence. Il complète sa collection en juillet alors qu’il obtient du vice-légat du pape un dernier passeport à Avignon avant d’en ajouter un nouveau à sa collection. Il n’a visiblement pas le temps de compléter sa collection, et pour cause, l’homme est pressé: le 23 septembre 1741, à peine arrive-t-il à Toulouse qu’il lui prend l’envie saugrenue de marcher droit à la Garonne, d’y patauger jusqu’à s’y enfoncer à mi-corps et puis, tant qu’à y être de s’y noyer, non sans prononcer au préalable une dernière phrase : « Mon Dieu il y a bien de l'eau icy »2. Son corps sans vie est ramené sur la berge le lendemain et, rassurez-vous, les trois passeports serrés dans ses poches n’ont pas pris l’eau. Nous les conservons précieusement3.
Ils ne sont pas les seuls puisque les archives de la justice des capitouls offrent à voir une belle collection de passeports délivrés des quatre coins du royaume, et voire d'Espagne ou encore de Sardaigne (via le consul à Marseille) (lien sur le passeport de Barcelone). Les raisons pour lesquelles ils ont été gardés dans les pièces des procès ne sont pas toujours faciles à déterminer. Pour certains on sait que la route s’est brutalement arrêtée là (pendaison, envoi aux galères, etc.). Pour d’autres, on peut estimer que les capitouls leur auront remis un passeport tout neuf afin qu’ils quittent la ville et pour aller se faire pendre ailleurs.

Il serait logique que les Archives de Toulouse ne conservent aucun passeport délivré par les capitouls, mais nous avons eu le bonheur de découvrir celui d’Antoine Rivière en 1776 ; bonheur qu’il n’a certainement pas été partagé, puisque ledit Rivière se l’est fait subtiliser et qu’il a été retrouvé sur le voleur.
Les comptes de l’imprimeur de la ville font état du nombre de passeports commandés chaque année par les capitouls ; ce sont environ 500 pièces qui sont livrées à l’administration municipale pour être octroyées à ceux qui souhaitent prendre la route en toute légalité (ou tranquillité).

Pour ceux curieux d’en savoir plus sur les passeports, certificat de bonne vie et mœurs ou autres titres de circulation, un atelier Au fil des chroniques des capitouls y sera entièrement consacré le 23 novembre ; mais si vous étiez vraiment pressés, venez-donc à la session du 26 octobre où nous traiterons des épidémies de peste, ce qui nous conduira naturellement à évoquer la question des sauf-conduits.

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1 - Oui, de nos jours, le nom donné à ce document semble un peu ironique.
2 - Phrase qui, si elle avait été médiatisée à temps aurait pu devenir historique, et n’aurait pas manqué de faire pâlir d’envie le maréchal-président Mac-Mahon qui, lui, s’est contenté de passer à la postérité en prononçant face à la Garonne en 1775 : « Que d’eau, que d’eau ».
3 - FF 785, procédure # 165, du 23 septembre 1741.