Bref, en ce jour de janvier le temps est beau, les températures extérieures annoncées oscillent entre -1° et 15°; de toute façon peu importe en réalité car l'archiviste travaille généralement sous abri.
8h30. A votre arrivée aux Archives, vous vous débarrassez de votre pardessus et cache-nez (ça revient à la mode, l'archiviste n'y est pas insensible) et gardez juste un tricoté maille fine pour marquer la saison ; tout est parfait, la salle de lecture dans laquelle vous allez officier indique 21,5°.
10h00. La chaleur des néons, la foule des lecteurs, l'agitation des neurones des chercheurs ou de leurs ordinateurs, tout cela fait monter la température de la salle de lecture ; le thermomètre indique désormais 22,5°. Une douce torpeur allait éventuellement vous gagner quand une demande précise d'un document iconographique requiert votre présence au magasin 4, celui où sont rangés clichés, bandes sonores et vidéos.
Choc ! Vous pénétrez brusquement dans le Petit Âge Glaciaire ; en effet, derrière la porte de ce magasin ronronne une machine qui pulse l'air à 15°. La maille fine ne suffit pas, et c'est avec soulagement que vous ressortez de la pièce, votre document en main. Las, il ne vous sera pas loisible de retourner près d'un radiateur, votre document doit immédiatement être transféré dans une pièce à 18°c où il passera 48 heures afin de s'acclimater au changement de température.
Les textes réglementaires ne prévoyant rien quant aux chocs climatiques auxquels peuvent être exposés les archivistes, vous quittez incontinent la salle à 18°, et remontez en surface retrouver les 23° d'une salle de lecture où la température ne cesse de grimper.
13h30 Après avoir eu des mots avec un lecteur récalcitrant qui imaginait pouvoir pénétrer en salle de lecture avec un blouson (sacrilège !) et vous être échauffé afin de lui faire comprendre que les règles de sécurité prohibent le port de tout complément vestimentaire, votre température corporelle est montée à 37,5°.
15h00 Les rayons de soleil qui percent le ciel de février inondent la salle de lecture. Vous intervenez aussitôt en fermant les stores de la salle de lecture. Les grognements réprobateurs de certains chercheurs vous laissent insensible ; les documents ne doivent pas être exposés au soleil ! Le thermomètre indique maintenant 23,7°, vous passez en mode de vigilance accrue.
16h00 Vous avez alerté la direction, la barre des 24° est atteinte ; le danger est réel, les documents communiqués en salle de lecture courent un risque. La procédure d'évacuation et d'exfiltrage de toutes les archives vers leurs magasins tempérés à 21° est prête à être mise en place.
16h45 Un lecteur a tenté d'ouvrir une fenêtre de la salle de lecture. Vous êtes sujet à un nouveau coup de sang (votre température corporelle avoisinant les 37,6°) mais votre professionnalisme vous contraint à rester courtois mais ferme : aucune fenêtre ne peut être ouverte en salle de lecture, sécurité oblige !
16h55 La séance publique touche à sa fin, les lecteurs sont invités à restituer les archives qu'ils consultent et rentrer chez eux pour le goûter. Les échanges d'air frais obtenus par les battements de la porte de sortie permettent de faire redescendre la température à 23°.
17h10 La courbe de Fahrenheit démontre qu'une fois les ordinateurs et luminaires éteints la pièce retrouvera dans l'heure une ambiance à 22°, et passera la nuit autour des 21° ; vous pouvez donc quitter la salle de lecture sans crainte pour les documents laissés en réserve, et reprendre votre pardessus et cache-nez afin de rejoindre votre domicile et vous fondre dans la masse des civils insouciants et insensibles aux variations climatiques.
Thermo-hygromètre mécanique portatif en veille dans les couloirs des Archives de Toulouse. Cliché Archives de Toulouse, 2015.